OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Laura et les hackers: vers le neo-design http://owni.fr/2011/08/10/laura-hackers-vers-le-neo-design/ http://owni.fr/2011/08/10/laura-hackers-vers-le-neo-design/#comments Wed, 10 Aug 2011 16:03:58 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=65190

« Va donc au Tetalab et regarde si ça te plait. » En 2010, Nathalie Bruyère, professeur aux beaux-arts de Toulouse, suggère à son élève Laura d’aller faire un tour au tout récent hackerspace. Pour l’étudiante, ce sera une révélation, la confortant dans sa voie.

Car Laura et les hackers, c’est une vieille histoire d’amour qui a commencé inconsciemment :

Naturellement j’étais déjà un peu orientée dans cet univers, sans savoir qu’il existait. C’est surtout à la base un esprit de liberté qui se retranscrivait dans mon travail.

Quelques mois plus tôt, on a dit d’elle qu’elle faisait partie d’un groupe de “méchants hackers qui voulaient dérober des données.”, s’amuse-t-elle. En guise de vol, elle s’est livrée à du cybersquatting X en pastichant le site de la mairie de Toulouse. Il proposait des baisodromes publics et en plein air, les « baliloves », sur le modèle des Vélib’. Le but : analyser le degré de conditionnement des gens en observant dans quelle mesure ils ont gobé le discours du faux site, simplement parce qu’il se revendique d’une institution. Si l’on s’en tient à ce test, le taux de panurgisme local est notable.

Son devoir a moyennement plu à ladite mairie, qui lui a intenté un procès qui finira par un simple rappel à la loi. Il lui vaudra aussi de recevoir les félicitations du jury de son école et d’être major de sa promo. Comme quoi, la créativité est diversement appréciée.

C’est un projet sur les interactions homme-machine dans le cadre d’un atelier numérique qui la mettra sur la voie du Tetalab. “J’ai dû me mettre au AIML (Artificial Intelligence Markup Language, le code qui sert à programmer des intelligences artificielles, et qui est utilisé par les hackers, je me dépatouillais seule à l’école”, se souvient-elle. C’est alors que sa prof, dont le frère Marc est membre du hackerspace, lui donne ce précieux conseil. Laura aura désormais en soutien une bande de geeks qui a la bonne idée d’être branchée art : la petite troupe est installée dans un container de Mix’art Myris, un collectif d’artistes basé dans un énorme hangar et moyennement mairie-friendly.

Oui Laura est une fille avec du vernis ET elle soude. Un problème les garçons ?

« On t’apprend à être décomplexé par rapport à la technique »

Entre Laura l’artiste-techos et les techos-artistes, l’échange est mutuel :

« On t’apprend à être décomplexé par rapport à la technique. Pour résumer, si tu ne sais rien, ce n’est pas grave, tu apprendras sur le tas, en fonction des besoins que tu as pour ton projet, si tu en as un de précis ; tu ouvres des bécanes, tu casses, tu comprends, tu reconstitues, tu refais et refais, etc. Une fois passé ce cap de la persévérance, les choses apparaissent plus clairement. Les hackers t’apportent un soutien technique et moral. Tu apprends à maîtriser des compétences multiples, différentes mais complémentaires, comme taper du code pour un script ou réaliser un circuit imprimé. Tu deviens peu à peu pluridisciplinaire. C’est pratique quand tu veux réaliser des projets plastiques ou de design qui requiert des compétences techniques car tu peux les évaluer, calculer la faisabilité du travail, et agir sur ton travail jusque dans les moindres détails. »

Cette décomplexion est d’autant plus importante que le rapport au travail manuel est extrêmement sexué dans notre société :

Les femmes sont cantonnées aux taches conservatrices comme la cuisine ou la couture alors que les garçons, dès l’enfance vont recevoir des jouets qu’ils peuvent trifouiller. Du coup, il est beaucoup plus difficile pour une femme de bidouiller.

Et en retour, l’étudiante incite ses copains de containers à sortir du bois. Ainsi « à un moment il y a eu un appel à projet public qui concernait de la création numérique, se souvient-elle, et je leur ai dit : “allez les gars, faites-le, vous êtes forts, vous devez vous montrer aussi en tant que médium artistique et créatif et non uniquement technique et hermétique.” Je leur ai apporté l’envie de créer davantage avec leurs savoirs, leurs compétences. »

Sex Toy DIY, intelligence artificielle et scénographie cyberpunk

Si, associés à sa veine créative, code et hardware sont la doublette gagnante de Laura, c’est au prix de gros efforts et de quelques « pétages de boulette ». Led qui saute et casse tout, erreur dans le programme, il en faut de la persévérance, même bien entourée. Les difficultés qu’elle éprouve parfois en faisant de la couture, un de ses autres savoir-faire, se retrouvent : « parfois, c’est métaphysique, tu es fatiguée et tu vas passer ton stress dans tes branchements. » Mais une fois passé ce cap, « c’est royal ! »

De son immersion dans le milieu hacker, Laura a tiré une poignée de projets. Dans le genre politique ludique, dans la veine des Baliloves, les sextoys DIY (pour Do It Yourself, faites-le vous-même). Un projet qui rencontre du succès et que Laura va relancer. Si vous êtes tenté, voici le mode de fabrication exposé par leur créatrice, n’hésitez pas à envoyer des photos de vos réalisations.

Laura s’est fait les mains sur AIML avec son gorgonocephalus artefactus, « un robot conversationnel assez primitif avec des capteurs qui détecte la présence du spectateur dans son périmètre ».

Nettement plus costaud, E-motions (v. vidéo ci-dessous) est « un projet qui synthétise deux ans dans le réseau des hackers : culture, pratique, rapport homme-machine, interaction, engagement éthique, politique et social, innovation et création. Le tout axé sur des problématiques de design. C’est le résultat de tout une digestion de choses denses. » DIY et opensource, bien sûr, il sera présenté à la Novela, « le festival sur les savoirs partagés » de Toulouse. Et son grand œuvre de fin d’études, ce fut une scénographie cyberpunk, présentée fin juin.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Divergence d’appréciations

La piste empruntée par Laura est diversement goutée par l’école, professeurs comme élèves. Il y a ceux que son travail laisse indifférents, voire rebute : « ce qui dérange, c’est qu’on ne sait pas trop comment la définir, et comme les gens aiment être rassurés, ils se renferment dans leur coquille. » Et puis il y a ceux qui sont attirés par ces problématiques de transdisciplinarité. Laura joue alors les « passeuses » : « Ils viennent me voir, me posent des questions. Je transmets la possibilité de le faire à fond, de venir au Tetalab. »

Par sa démarche, la jeune femme rejoint le nombre croissant d’artistes qui se rapprochent des hackers. En France, l’école d’Aix-en-Provence est particulièrement féconde : elle a donné lieu au concept d’Eniarof, une « fête foraine punk ». À la base, c’est un projet étudiant, monté par Antonin Fourneau, rappelle Laura.

Professionnellement, Laura ne se rêve pas en artiste « pure », c’est bien le design qui l’attire mais dans une version particulière qu’elle définit en long dans son mémoire : le néo-designer, en référence au personnage de Matrix. Elle le présente comme « une hybridation du design industriel et du “design libre ou alternatif” » :

Il se redéfinirait par rapport au rôle qu’il a à jouer dans la société, l’industrie et l’économie. Ce serait un designer “pro-tech” et non pas “tech-push”.
Il serait conscient de son pouvoir et se comporterait avec responsabilité et éthique. Il défendrait une idéologie qui rejoindrait  celle des communautés DIY et de l’open source. Il mettrait en avant dans sa pratique les qualités de l’être humain, serait libre par rapport au système du marché. Et ainsi, le design cesserait de valoir “à peine plus qu’un enrobage sucré pour nous aider à consommer davantage et plus facilement”.

Une utopie ? Pas tant que cela puisque cette conception du métier de designer est déjà mise en pratique. Il y a par exemple la Free Beer proposée depuis 2005 par le collectif d’artistes danois Superflex et des étudiants de l’université de Copenhague. Free pour libre et non gratuite, comme les logiciels : la recette et les techniques de brassage sont sous licence Creative Commons, ce qui permet de les partager et remixer, y compris à des fins commerciales, et encourage donc « une forme d’économie participative et locale. »

En France, Christophe André, un ancien ingénieur, prône lui aussi un « design libre », en contrepoint à l’obsolescence programmée. Des entreprises s’y mettent également, comme Meta IT, une société qui fait dans « l’informatique durable pour l’entreprise », basée à Talence. Elle propose entre autre ALT®, un ordinateur de bureau éco-conçu et recyclable qui ne propose que le nécessaire. Et ce n’est pas fabriqué par des Chinois de Foxconn, mais en France.

Laura cherchera une entreprise où le courant passera comme dans ce circuit homemade.

Trouver un compromis équilibré pour ne pas se fourvoyer

Lucide, Laura sait que son projet professionnel ne sera toutefois pas une sinécure :

Il n’y a pas de structure pour l’instant dans le monde professionnel pour ce type d’approche. En tout cas, pas ou trop peu de structures viables. Il faut donc les construire. C’est presque impossible de postuler, seule dans mon coin, dans une entreprise avec cette position, c’est trop brutal, ça fait peur. Il y a des filières de design d’interaction qui s’ouvrent dans les écoles d’arts et de design. Je pense que je vais commencer à faire un tour par là pour voir ce qui s’y développe et voir quelle est la politique de ces pratiques.

Je pense persévérer même si ça risque d’être un chemin de croix. J’aimerais passer, peut-être pas ma vie, mais une partie de ma vie, à ce que les gens prennent conscience que certaines pratiques et habitudes, qui pouvaient être positives à une certaine période, sont devenues mauvaises. Il faut changer les choses et on a oublié que les gens pouvaient changer les choses.

Si le Danemark ou la Suède ont une approche du design qui lui correspond davantage, son avenir proche se jouera à Genève, où elle va suivre l’année prochaine un master média design à l’HEAD. La suite de l’itinéraire sera une question de compromis équilibré. Laura avoue ne pas avoir de certitude :

Qu’est-on prêt à laisser et à ne pas laisser quand on travaille avec des institutions et des entreprises ? En fonction de cela, il faut voir si on se fourvoie ou pas. J’ai peur comme plein de personnes de tomber dans le piège : il faut se nourrir… Et du coup on finit par oublier la finalité du projet. J’essaye toujours de ne pas m’accommoder. [Elle hésite]

Mais je ne sais pas. Si je travaille avec une entreprise avec une ligne éthique et une dimension humaine et qui veut quand même faire de la production, mais qui s’intéresse au client pas uniquement comme un consommateur et un moyen d’accroitre le bénéfice, là je serai prête à faire des concessions.

Il lui faudra rester vigilante, en ces temps où, elle le dénonce elle-même, le développement durable est « du marketing, de la récupération. C’est ça le problème, il faut arriver à avoir la force, et c’est pour cela que je salue le travail de Massimo Banzi [en], le co-créateur des circuits imprimés Arduino [en]. Il a transcendé le problème en ouvrant tout. »


Photos par Ophelia Noor pour Owni /-) [CC by nc sa]

MAJ : rectification sur l’AIEML et le site de la mairie de Toulouse, suite aux remarques des lecteurs.

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Au Tetalab Hacker Space Factory, le courant alternatif passe http://owni.fr/2011/05/29/au-tetalab-hacker-space-factory-le-courant-alternatif-passe/ http://owni.fr/2011/05/29/au-tetalab-hacker-space-factory-le-courant-alternatif-passe/#comments Sun, 29 May 2011 18:03:19 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=64882

Nous sommes revenues cramées du Tetalab, le festival du hackerspace toulousain. Pourtant, nous ne sommes restées que le samedi. Le réveil à 5 h 30 et la jolie chaleur qui régnait sous le hangar du collectif d’artistes Mix’Art Myrys qui accueillait l’événement n’étaient pas les principaux coupables: non, ce qui nous a exalté, happé, épuisé, c’est le bouillonnement politique qui émanait de cette seconde édition placée sous le signe du Do-It-Yourself (DIY).

Pas politique au sens partisan, mais au sens de : quelle société je veux ? Une société de consommation passive ou je gobe du produit tout prêt, d’un coup de carte bancaire ? Ou ne vaut-il mieux pas se réapproprier les outils de production, apprendre à fouiner dans les objets pour les adapter, les réparer, les récupérer ?

À l’heure où la révolution gronde dans la proche Espagne, lassée du «système», le THSF, le temps d’un atelier de soudure ou d’une conférence sur Arduino, la fameuse plate-forme électronique open source, apportait une solution aussi tangible que les objets conçus durant ce week-end à l’aide des imprimantes 3D.

Les conversations avec les  participants sont denses et vivifiantes, à l’image de leurs parcours. Des festivaliers qui dans l’ensemble n’ont rien de vieux nostalgiques du Larzac: on tourne plutôt autour de 35 ans de moyenne d’âge, et à voir les ados et les enfants galoper entre un vieux fauteuil et un robot tout droit sorti de Metropolis, il est permis de croire que le courant alternatif continuera de passer.

Pour rendre compte de cette effervescence, voici une série de portraits-rencontres expresses, comme autant de mini-révolutions incarnées. Une lecture qui rendra définitivement détestables nos appartements peuplés de meubles IKEA.

Jérôme, hackable-devices: vivre de la technique éthique

John et Jérôme

La boutique en ligne de hardware open source hackable-devices (HD) est un peu aux festivals hacker ce que Renault est aux salons auto: un incontournable. John, son fondateur, était déjà venu l’année dernière lors de la première édition du THSF. Il est maintenant secondé par Jérôme, coordinateur développement.

Comme John, qui a quitté son bourgeois et lénifiant métier d’opticien, Jérôme a un parcours atypique: après un passage dans le commerce équitable, il y a vingt ans, avant que la grande distribution ne mette le grappin dessus, il a fait un tour du côté de la technique «pure et dure, Windows certifiée». Aujourd’hui, il parvient enfin à faire la synthèse en faisant de la « techno éthique, écoresponsable ».

Petite entreprise, HD espère bien évangéliser au-delà du noyau dur des hackers, Jérôme s’active dans ce sens. Aux côtés du shop virtuel, HD est en train de développer une activité de consulting en B to B.Jérôme:

Nous nous rapprochons des industriels, des collectivités locales et d’un public élargi en général.

HD se dirige vers des collaborations avec des villes en Bretagne et en Île-de-France sur la décroissance énergétique, avec des outils de monitoring de compteurs électriques. Négawatts plutôt que mégawatts. HD s’est associé sur ce projet avec les jeunes Toulousains de SnootLab, L’Internet des objets, c’est-à-dire la connexion au Net des objets du quotidien, est aussi un axe important de travail. La rentrée de septembre devrait être active…

Atelier de soudure avec John

En écumant les events hackers, Jérôme cherche à mieux connaître la communauté hacker au sens large du terme. Dans l’optique du développement de sa boîte, les Fab Labs, ces usines miniatures proposant des machines-outils pilotées par ordinateurs, sont un terrain fertile. « Nous voulons passer du stade du prototype à celui de la création digitale », explique Jérôme.

En clair, permettre aux gens de fabriquer eux-mêmes les objets en leur fournissant un «patron numérique» open source, avec cette idée primordiale de redonner aux consommateurs passifs le contrôle de la production. Le processus de fabrication passe par un décloisonnement des métiers, artisans, designers, techos, il insiste sur le mixage des compétences.

Pour conclure le programme aussi chargé qu’exaltant de Jérôme, on rajoutera la création de boutiques réelles, associant magasins et ateliers. Faire plutôt que faire faire, encore et toujours. Le stand de Jérôme est d’ailleurs entouré de MakerBots, ces imprimantes 3D open source et d’ateliers de soudure. Lui-même s’y essaye, il n’avait pas mis la main au fil d’étain depuis sa scolarité…

On fait un parallèle, en mode Cassandre, avec le commerce équitable: le DIY ne va-t-il pas se faire rattraper par le système ? Jérôme souligne une différence essentielle : acheter une tablette de chocolat équitable n’engage à rien. C’est un geste de deux secondes. Le DIY est une pratique, un mode de vie au quotidien. Nettement plus difficile à récupérer.

Massimo Banzi : « Everything has to be hackable »

Massimo Banzi [en], co-créateur des circuits imprimés Arduino [en], a un background assez étrange, selon ses propres mots : « J’ai commencé par étudier l’ingénierie électronique, et j’ai travaillé dans le logiciel pendant plusieurs années à l’international. ». Rien ne le prédestinait à être enseignant mais la proposition d’un ami au début des années 2000 lui fait sauter le pas. C’est à l’Institut d’Interaction Design d’Ivrea en Italie que Massimo Banzi se frotte à l’enseignement et à la pédagogie, et c’est là que naît le projet Arduino, en collaboration avec quatre enseignants développeurs et une bonne centaine d’élèves cobayes qui ont indirectement contribué à sa création.

Le succès d’Arduino aujourd’hui tient beaucoup à ce fondement pédagogique. Tout est basé sur le «faire». La théorie est bannie, la pratique est reine. Explication de Massimo pendant sa conférence au THSF:

Nous voulons que les gens mettent les mains dans le camboui. Nous avons conçu les circuits Arduino avec l’idée qu’un enfant pourrait s’en emparer.

Autant que les hackerspaces, beaucoup d’écoles se servent de ces circuits pour monter des projets. L’éducation, un créneau dans lequel Massimo et ses collaborateurs ont décidé d’investir. Ils lancent le 18 juin une plateforme d’échanges pédagogiques multilingue destinée aux personnes qui utilisent les circuits Arduino pour enseigner. Objectif affiché : collecter le maximum de tutoriels écrits dans un langage pédagogique, éloigné de celui des ingénieurs. Et surtout, continuer à travailler avec des écoles dans le monde entier.

Un autre atout d’Arduino est son modèle open source et sa philosophie DIY. « Ce modèle est fondamental. C’est ce qui nous a permis d’évoluer et d’embaucher aujourd’hui trois personnes à temps plein et d’autres pour des missions. » Ces circuits sont clonés dans le monde entier, de l’Inde en passant par la Chine.

Mais, selon Massimo Banzi, le géant Google ne se gêne pas non plus pour reprendre leurs inventions, comme dans le cas du Mega ADK . Tout cela ne l’inquiète pas, lui qui croit aux vertus de l’émulation et de la créativité que seuls peuvent apporter les projets sous licences libres. Pendant la conférence, Massimo présente plusieurs projets non dénués d’humour, réalisés à partir d’Arduino, comme la « tweeter plant » qui vous envoie un tweet pour vous dire qu’elle a besoin d’être arrosée… Il donne en exemple la création d’un autre module dont 80 % est en open source et le reste sous format propriétaire :

Je suis confiant en la communauté des utilisateurs. Dans moins de trois ans, le module sera à 100% open source. À chaque fois que nous enlevons des pièces sous propriété intellectuelle, les gens deviennent plus créatifs. Tout doit être hackable.

Un discours qui n’est pas sans échos avec la récente intervention de John Perry Barlow à l’eG8 forum [en] à Paris.

Massimo nous confie que c’est la première fois qu’il est invité dans un festival de hackers, bien qu’il côtoie assez régulièrement cette communauté. Tom Igoe [en], l’un des co-fondateurs d’Arduino est un membre reconnu du hackerspace new-yorkais NYC Resistor [en]. Et ajoute-il, le sourire en coin, « je ne refuse jamais un voyage en France ». L’autre date importante pour Massimo en 2011 est l’Open Hardware Summit [en] qui se tiendra à New York le 16 septembre pour lancer la version 1.0 d’Arduino et dévoiler plusieurs projets en cours…

Emmanuelle Roux : hacker l’université

Emmanuelle Roux

À la rentrée, l’université de Cergy-Pontoise accueillera FacLab, un Fab lab qui servira d’outil pédagogique, dans le cadre d’un diplôme universitaire. Le nom résume bien la philosophie d’Emmanuelle Roux : changer le monde est à portée de mains, un discours qu’elle martèle à ses élèves, trop passifs selon elle. Comme Laurent Ricard, avec qui elle a porté le projet, cette femme qui se définit comme «sympathisante hacker» présente un profil atypique dans le milieu universitaire.

Côté pile, elle est entrepreneuse, à la tête des Clés du Net, une web agency vendéenne: un aboutissement logique quand on est tombée dans la bidouille informatique à dix ans. Côté face, elle est vacataire universitaire, en charge d’une licence développement web et web mobile à Cergy. Pas une chercheuse pur jus.

Cette passionné de l’Internet des objets a fait une heureuse rencontre voilà un an, sur les conseils de son entourage: Arduino. Elle cherchait alors à « sortir de l’écran, qui enferme ». Le lien est fait. Emmanuelle fait l”apprentissage de la plate-forme électronique, et, dès cette année, met en place un cours sur le sujet. Pas courant en France.

Elle se heurte au cloisonnement du milieu, peu habitué à la transdisciplinarité, qui lui rentre dans le choux. « J’avais besoin d’étain, il n’y en avait pas chez nous, j’ai dû aller en chercher à l’étage en dessous en robotique, je l’ai découvert à cette occasion, on n’aurait pas eu l’idée de nous mettre en relation…» Encore balbutiant, ce cours a déjà abouti de façon concrète: les élèves ont connecté un objet à un programme en Flash.

Preuve que le milieu universitaire n’est tout de même pas si fermé, «on est financé par une faculté, c’est bien qu’on a convaincu. J’ai eu de la chance de tomber sur la bonne personne qui nous a montré de bonnes personnes», avance-t-elle pour expliquer ce que l’on pourrait appeler un hack d’université.

Si Emmanuelle est venue THSF «pour le plaisir», ses MakerBots sous le bras, les discussions avec les acteurs du milieu lui permettent de repérer au passage des intervenants pour sa licence. «Ils sont là, sous le hangar» : loin des théoriciens, elle cherche des praticiens, aux marges du système actuel. «John, typiquement, ferait un intervenant intéressant.» De là à voir se multiplier ce type de projet… La France attend encore son Neil Gershenfeld, on est en retard, « bien sûr », conclut-elle dans un sourire.

Heureux qui comme Alexandre Girard a fait la connexion entre Paris et l’Espagne

Lorsqu’il a créé le Tetalab en 2009, Alexandre Girard, un jeune développeur web, voulait montrer qu’entre les hackerspaces parisiens et ceux d’Espagne, il existait aussi des fans de bidouille. La première édition avait été placée sous ce signe franco-espagnols. Deux ans après, la connexion est définitivement faite, comme en témoigne la présence notable d’Espagnols, dont Lord Epsilon et d’Alex, les fondateurs du réseau social alternatif LOREA (voir ci-dessous). Créer très vite un festival était une évidence: après être allé au PHSF, le festival du premier hackerspace français le Tetalab, le Tetalab a appliqué « le principe du copié/collé », explique-t-il. Soit des ateliers, des conférences, des concerts, des performances et de la tambouille maison.

Du bar où il officie, Alex voit défiler le monde, déjà plus que l’année dernière. On trouve bien sûr la vingtaine de membres du Tetalab, dont les hommes sont pour l’occasion reconnaissables à leurs moustaches dignes des joueurs de foot de feu la RDA, ce sera du feutre pour les filles. « Nous comptons pas mal de jeunes, dont des pères de famille, précise-t-il. Par exemple ce soir, le fils de Sylvain fera du vidéomapping sur la façade. Il y a aussi des geeks, venus en famille. » Les autres hackerspaces français ont aussi fait le déplacement : le tmp/lab leur a rendu la pareille, Alex Korber et Ursula sont ainsi venus avec leur usinette, et un début de fraiseuse numérique, faite maison, une sorte de IKEA-killer ; le jeune ElectroLab, etc ; et de l’autre côté des Pyrénées, donc, entre autres, Hacktivistas [es].

Le mètre quatre-vingt-dix affable, Alex représente bien cette nouvelle génération de hackers, qui ne rechigne pas à sortir de l’ombre pour échanger sur la philosophie qui anime le groupe. Qu’ils fassent autant de travaux en lien avec l’art illustre bien cette tendance : «on a envie de montrer ce type de projet». Mais de là à s’institutionnaliser, il y a un pas que ces pieds chaussés de Vibram Fivefingers n’est pas près de franchir.

Lorea: «Les réseaux sociaux doivent être libres et non commerciaux»

Face aux géants des réseaux sociaux Facebook et Twitter, le positionnement et la philosophie de Lord Epsilon et Alex, fondateurs de Lorea sont clairs : « Les réseaux sociaux et Internet, c’est nous : la société civile doit se les réapproprier. Le réseau social est un outil qui vient de la société civile. » Lorea[en] est un réseau social libre créé en Espagne en 2008 par une communauté de hackers dont Lord Epsilon, 1m90, habillé de noir et la tchatche facile, et Alexandra, dite Alex, petite blondinette à l’air sérieux. Sur la scène du Tétalab, nous sommes loin du discours langue de bois de Mark Zuckeberg à l’eG8.

Lorea est un outil non commercial, à l’opposé de Facebook, fait par et pour la communauté et dont le but n’est pas de faire de l’argent ou de collecter des données pour les revendre à des tiers.

Les réseaux sociaux commerciaux ne respectent pas la vie privée, leur fonctionnement est opaque, ils bénéficient d’une certaine impunité juridique et leur culture de « l’honnêteté » par opposition à l’utilisation des pseudos rappelle fortement 1984 d’Orwell, résument nos deux activistes espagnols.

Alex et Lord Epsilon militent depuis des années pour un web social libre, dans la veine de l’open source et du respect de la neutralité du réseau « Actuellement, il n’est pas possible d’échanger entre MySpace et Facebook », s’agace Alexa sur la scène du Tetalab. En effet, pour échanger avec sa communauté, ses amis ou sa famille, il faut se créer un profil sur chacune des plateformes de ces réseaux sociaux, commerciaux.

Epsilon s’enflamme : « Lorea signifie “fleur” en basque, et nous espérons construire un champ du savoir entre les communautés, comme les abeilles qui viennent butiner de fleurs en fleurs, pour le disséminer à travers les cultures et les réseaux. Métaphoriquement, nous sommes un rhizome. » Applaudissement dans la salle. Ils restent lucides et prudents, admettent jouer le jeu de Twitter ou Facebook en les utilisant à fond dans certains cas, comme récemment, pendant les événements de la #spanishrevolution. Cependant, il se passe d’autre chose, ailleurs sur le web, où la résistance s’organise contre les ennemis de la neutralité du Net. Le petit réseau social alternatif a gagné des dizaines de milliers d’adhérents depuis les manifestations du 15 mai en Espagne.

Lorea sera de tous les rassemblements de hackers cette année et participera au Federated Social Webforum [en] de Berlin début juin où le thème des réseaux sociaux libres sera débattu. Organisé par le consortium W3C, ce dernier a récemment ouvert un groupe de travail sur l’interconnexion entre les réseaux sociaux, à la grande satisfaction d’Alexa et de Lord Epsilon.

Photos : Ophelia Noor [cc-by-nc-sa–] /-)
Affiche en Une de Stéphane Jungers téléchargez-la !

Retrouvez les autres articles notre dossier hackerspace #thsf :

Tétalab mixe art et hack

Les fab labs ou le néo artisanat

La prochaine révolution faites-la vous-même !

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Tetalab mixe art et hack http://owni.fr/2011/05/28/tetalab-mixe-art-et-hack/ http://owni.fr/2011/05/28/tetalab-mixe-art-et-hack/#comments Sat, 28 May 2011 10:40:56 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=64112 Hiver dernier, alors que WikiLeaks fait trembler les ambassades du monde entier en faisant fuiter des câbles diplomatiques et s’agiter les rédactions qui publient analyses géopolitiques sur analyses géopolitiques, les hackers toulousains du Tetalab s’emparent à leur façon du sujet. Pas de révélation fracassante, mais un hack poétique qui leur vaudra leur quart d’heure de célébrité, de Boing Boing [en] au Guardian [en] : Haikuleaks. Les bidouilleurs se sont amusés à concevoir un outil qui repèrent dans les câbles ceux qui correspondent à la forme ultra-codée du haiku japonais. Par exemple : « As is typical/the Pope stayed above the fray/and did not comment. »

Un projet qui résume bien l’état d’esprit de ce jeune hackerspace né en 2009, qui ne voudrait pas être réduit à ce buzz : « Est-ce qu’il y aurait vraiment quelque chose à dire sur haikuleak d’ailleurs ? Que quelqu’un ait passé du temps à faire quelque chose d’aussi génial et inepte, ca me parle. Mais c’est le cas de dizaines de projet au tetalab dont seule la presse scientifique jeunesse se préoccupe. » En pleine résonance avec l’éthique hacker de Pekka Himanen, qui met en son centre le jeu et la passion comme motivation aux actions.

Installé dans le centre culturel Mixart-Myrys

Et à l’instar de nombreux travaux du Tetalab, haikuleaks est un hack artistique. En s’installant en novembre 2009 à Mixart-Myrys, un collectif artistique avec lequel il collabore, le groupe s’est mis sous le signe de la création. « Beaucoup aiment mettre leurs compétences techniques au service de la création artistique. Beaucoup des dispositifs réalisés sont à la frontière entre art et technologie », explique Fabrice. Parmi les membres du collectif, on trouve d’ailleurs Laura, une jeune étudiante des beaux-arts de Toulouse très active, qui a trouvé là un biotope très épanouissant :

On t’apprend à être décomplexé par rapport à la technique. Pour résumer, si tu ne sais rien, ce n’est pas grave, tu apprendras sur le tas, en fonction des besoins que tu as pour ton projet, si tu en as un de précis ; tu ouvres des bécanes, tu casses, tu comprends, tu reconstitues, tu refais et refais etc. Une fois passé ce cap de la persévérance, les choses apparaissent plus clairement.

Les hackers t’apportent un soutien technique et moral. Tu apprends à maîtriser des compétences multiples, différentes mais complémentaires, comme taper du code pour un script ou réaliser un circuit imprimé. Tu deviens peu à peu pluridisciplinaire. C’est pratique quand tu veux réaliser des projets plastiques ou de design qui requiert des compétences techniques car tu peux les évaluer, calculer la faisabilité du travail, et agir sur ton travail jusque dans les moindres détails.

Une petite équipe qui réagit au quart de tour aux sollicitations sur la mailing-list. Laura a besoin d’un coup de main pour son projet de fin d’année, une scénographie punk ? Un message et c’est parti. Trente-six heures plus tard, on lui avait déjà proposé un package unité centrale – écran – clavier, des cartes mères et des cartes graphiques « qui auraient déjà dû partir à la poubelle », la récup est un art de vivre ici, des boîtiers à disposition, des cartes mères, etc. Le tout avec un grand smiley : « Je serai très heureux de m’en débarrasser : ) »

Une RepRap, la fameuse imprimante 3D autoréplicante, du soleil, elle est pas belle la vie au Tetalab ? (photo Tetalab)

Dictature de l’initiative

Un échange qui illustre bien la philosophie qui règne dans les hackerspaces : « Au Tetalab la dictature de l’initiative est de mise. Si quelqu’un veut lancer un projet, il le fait, il y aura un peu de monde pour l’aider et beaucoup pour donner des conseils :) La devise est “on s’en fout on le fait !” L’objectif est aussi d’utiliser le groupe pour lutter contre la procrastination. »

Mais il n’est pas question ici d’art pour l’art, comme le précise PLS : « L’art donne un vecteur différent de propagation de la technique, autre qu’une finalité de produit industriel. C’est en ce sens que la connexion avec l’art est intéressante, le fait qu’elle ouvre de nouvelles façons de penser un objet, de développer une nouvelle créativité, mais cela reste un vecteur de manière générale, pas une finalité. »

Comme Haikuleaks, d’autres projets ont été fait pour la pure beauté du  geste, comme Ledpong. Inspiré du Disco Dance Floor [en] réalisé par des étudiants du MIT, il s’agit « d’un mur garni de balles de ping-pong (parce qu’on trouve ça joli…) qui sont illuminées par des leds contrôlées par un circuit embarqué. L’installation peut se transformer en écran (diffusion de flux vidéo), en miroir (utilisation caméra/webcam live), en instrument de musique (interfacé avec une kinect pour la captation des mouvements) en fonction de l’envie. Nous n’avons pas forcément fini de creuser toutes les voies d’utilisation. » Un travail mené en collaboration avec CorpusMédia, un projet euro-régional de mise en réseau de projets artistiques.

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Esthétique et sérieux, l’expérience suivante, présentée lors d’Empreintes numériques 2011, des rencontres autour des arts électroniques, visualise le réseau social Twitter à partir des hashtags #wikileaks, #anon et #toulouse, en utilisant le logiciel Gource. Le côté éphémère – dérisoire ?- des tweets ressort dans l’évolution du graph, les messages apparaissant et disparaissant en un scorpion coloré, à moins qu’ils ne soient repris.

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Certaines réalisations ont des visées politiques. Ainsi Rencontre avec son double numérique, montré à Empreintes numériques 2010, est une réflexion sur les données personnelles. Basée sur des petits QCM et des jeux multimédia, elle se veut donc très accessible. Marc, son initiateur, résumait ainsi sa démarche :

Les traces de nos besoins naturels ou fantasmés, gravées dans le marbre virtuel des Bases De Données bancaires et des organismes de crédits, ou l’historique de nos loisirs, compilé par les compagnies aériennes, fédérations sportives, émetteur de cartes d’abonnement, sont vendus au Marché qui nous sollicite sans cesse pour ses propres besoins : nous faire consommer ce dont nous n’avons pas besoin et nous maintenir ainsi dans un état de dépendance.

La moindre infraction est désormais consignée sans avoir la moindre chance de se trouver effacée par une prescription ou une amnistie. Nos ADN, empreintes digitales et rétiniennes rejoindront tôt ou tard cette BDD à visée mondiale que l’Empire nous vend pour notre bien, notre sécurité, pour le bonheur des victimes ou pour la lutte contre, au choix, le terrorisme, la pédophilie, les épidémies, les fous, les étrangers, etc.
Parfois les fichiers sont pratiques. Pizza30 sait que je préfère la Calzone juste en connaissant mon numéro de téléphone ! Un double numérique est présent dans ces BDDs.

Et vous, dans combien de fichiers figurez-vous ? Et à quoi ressemble ce double possible double numérique ?

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La deuxième édition de leur festival THSF ( Toulouse HackerSpace Factory, « in bricole we trust »), ce week-end, fait bien sûr une place de choix à l’art, avec entre autres un atelier photo « Sténopé – hack-a-cam », une conférence sur MilkyMist, une solution libre de synthèse d’effet vidéo, des concerts, des performances, etc. Une dominante qui ne doit pas faire oublier l’essentiel : l’amour de la bidouille, du DIY, de l’utilisation créative des technologies restent la seule baseline, comme dans tout bon hackerspace qui se respecte.

Photo de une Tetalab, prise lors des Empreintes numériques 2010.
Il existe aussi un fablab à Toulouse, Artilect

Affiche en Une de Stéphane Jungers téléchargez-la !

Retrouvez les autres articles notre dossier hackerspace #thsf :

Les fab labs ou le néo artisanat

La prochaine révolution faites-la vous-même !

Au Tetalab Hacker Space Factory, le courant alternatif passe

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