OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les rêveries de l’électeur solitaire http://owni.fr/2012/04/20/les-reveries-de-l%e2%80%99electeur-solitaire/ http://owni.fr/2012/04/20/les-reveries-de-l%e2%80%99electeur-solitaire/#comments Fri, 20 Apr 2012 19:34:40 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=107183

Il importe donc qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui. – Rousseau

Ce dimanche, des millions d’individualités se rendront dans ce que l’on appelle des isoloirs, pour mettre dans l’urne un bulletin de vote. Cela peut paraître étrange : pour que la vie politique avance, il faut agir tous ensemble, avions-nous vu précédemment, et il faudrait donc s’isoler ensuite pour manifester sa volonté de citoyen au moment du suffrage ! En fait, l’idée n’est pas du tout absurde.

Pour être citoyen faut-il donc s’isoler ? Certes pas en un premier sens : comment former son jugement, comment tisser des solidarités et surtout, comment dialoguer si l’on s’isole des autres ? Chacun peut faire aisément l’expérience qu’en parlant, en marchant, en agissant avec les autres, sa propre pensée s’exprime, se forme, se transforme, rencontre des contradictions qui imposent de nouvelles réflexions et de nouvelles actions. Rien n’est plus impuissant qu’un citoyen isolé des autres citoyens. Nous avions pu citer la belle phrase de Maurice Merleau-Ponty :

Notre rapport au vrai passe par les autres. Ou bien nous allons au vrai avec eux, ou bien ce n’est pas au vrai que nous allons.

Si la vérité politique se construit à plusieurs, alors l’isoloir est-il une invitation à lui tourner le dos ?

Certainement pas, si l’on conserve en mémoire bien des idées que nous avons pu croiser dans cette vingtaine de chroniques depuis quelques mois. Chacun pense à l’intérieur de soi, et du coup chacun croit que sa pensée est « personnelle ». Il n’en est rien :

Dans le cas précis d’une campagne électorale comme celle que nous venons de vivre, qui donc peut se flatter de réfléchir sans tenir aucun compte des sondages ?

Sans calculer ce que son vote au premier tour peut induire au second tour compte tenu des institutions telles qu’elles sont ?

Sans craindre que tel candidat soit élu, que tel autre soit battu ?

Que telle ou telle mesure précipite sa vie dans un enfer comme celui que l’on inflige à la Grèce ?

Que tel candidat (e) qui a notre préférence ait ou n’ait pas une chance de figure au second tour ?

Que tel ou tel danger qui menace la vie quotidienne à nos yeux, des attentats à la perte d’emploi en passant par la scolarité des enfants ?

Qui peut se vanter d’être imperméable aux stratégies médiatiques ou s’émanciper de toute croyance vis-à-vis des discours construits autour des tornades financières ?

Soyons honnête : personne.

Qui peut se flatter aussi de n’être en rien porteur des passions que nous intériorisons tous, tout au long de nos vies, dans la logique sociale qui nous enveloppe et nous construit à notre insu : passion de la richesse, passion du pouvoir, passion des honneurs, de l’amour-propre, de l’image de soi ? Autrui est omniprésent à l’intérieur de moi, je vis sous son regard, son influence, et parfois sa domination. Comment alors savoir ce que je veux, ce que je désire, ce que je juge meilleur pour moi, pour toute la société, pour toute la planète ? Qui peut prétendre voir clair en soi ?

L’antique invitation de Socrate, « connais-toi toi-même », ne sera jamais périmée. Si j’ai besoin de dialoguer et agir avec les autres, cela serait vain s’il fallait me perdre en eux, dans cette dictature du « on » qui nous surplombe et qui exige sans cesse de moi que j’ai l’esprit en éveil, que j’aiguise mon esprit critique, que j’accepte de changer. Ce n’est pas sans raison que Descartes par exemple s’isolait dans son bureau pour exercer le doute critique et construire une nouvelle pensée, à l’aube des Lumières.

Portrait de Jean-Jacques Rousseau par Allan Ramsay, Nationall Gallery of Scotland - Domaine public via Wikimedia Commons

Jean-Jacques Rousseau avait repris à son compte l’exigence socratique, en soulignant la difficulté extrême qui s’opposait à nos efforts, pour séparer clairement ce qui vient de soi et ce qui, en soi, fait parler et agir la culture de la société environnante. Pour lui, le citoyen doit penser et se déterminer « dans le silence de ses passions ». Comme le sage platonicien, comme Diogène, comme Epicure et Epictète, comme Descartes et Spinoza.

Face à toute question éthique ou politique, une foule de coutumes, de préjugés, d’erreurs communes tendent à imposer en nous des réponses que nous n’avons pas réfléchies. Les mécanismes sociaux, les intérêts particuliers qui nous poussent à toujours préférer nos inclinations au souci de justice commune, les passions liées à la richesse, au pouvoir, à l’image de soi, tout peut s’imposer à nos jugements. Avec la meilleure bonne foi concevable.

Bien sûr, c’est aussi grâce à ces tendances communes contradictoires que les révolutions unissent des foules, que des progrès sont imposés (comme l’affirmait Kant), que toutes les grandes choses de l’histoire sont réalisées (comme le remarquait Hegel). Mais c’est aussi par cette voie que des foules ont pu se fourvoyer et tourner le dos au progrès de l’idée de liberté, à l’égalité, à la fraternité. Il y a donc un moment décisif : celui qui nous place seul face à nous même, une fois enrichi par les débats, les discours, les lectures. À l’abri des tumultes de l’histoire en train de se faire, et des mécanismes institutionnels qui imposent des logiques sans rapport avec la raison et la justice.

Pour y parvenir, Rousseau ressentait le besoin de partir dans ses Rêveries de promeneur solitaire, comme il a titré l’une de ses œuvres. Seul, marchant dans la nature, tout à ses pensées, cherchant son jugement sincère dans l’enchevêtrement de ses contradictions intimes.

Faute de forêt ou de montagne à l’écart des débats électoraux, au moins devons-nous y songer très fort dans l’isoloir : quel est mon vrai désir, par delà les calculs, de quelle humanité ai-je l’envie, à quel avenir ma voix doit-elle contribuer ? Et si le progrès humain passait par des foules de citoyens jaloux de leur individualité ?

NB : Relire, bien sûr, les œuvres de Rousseau, Platon, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel ou Merleau-Ponty évoquée plus haut. Vient de paraître aussi, aux éditions de La découverte, Démocratie précaire. Chroniques de la déraison d’Etat, d’Eric Fassin. Stimulant.


Texture par Essence of a dream/flickr (CC-by-nc) ; Portrait de Jean-Jacques Rousseau Allan Ramsay [Public domain], via Wikimedia Commons

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Débat de l’eau, si laid? http://owni.fr/2011/07/08/debat-de-leau-si-laid/ http://owni.fr/2011/07/08/debat-de-leau-si-laid/#comments Fri, 08 Jul 2011 14:41:59 +0000 Raphaël Pepe (Attac Italie) http://owni.fr/?p=73177 En se saisissant de la possibilité constitutionnelle d’un référendum, les citoyens italiens ont remis en cause une privatisation à marche forcée de l’eau en Italie. Membre du Comité référendaire pour l’Eau bien commun et d’Attac Italie, Raphaël Pepe raconte comment cette mobilisation a été possible.

Dans un pays où la démocratie est continuellement piétinée, un pays où les médias conditionnent la politique depuis plus de 20 ans, dans un pays où le processus de privatisation des biens communs ne connait aucun frein, nous avons réussi à nous réapproprier nos droits en disant non à la marchandisation de l’eau et aux politiques néo-libérales et en disant oui à une démocratie participative et à la défense des biens communs.

Ce référendum populaire est né de l’initiative des Comités citoyens pour l’eau publique de toute l’Italie, qui depuis 2006 sont coordonnés par le Forum Italien des Mouvements pour l’Eau Publique. Déjà en 2007, ce réseau de comités avait recueilli plus de 400.000 signatures pour proposer une loi d’initiative populaire malheureusement jamais discutée au Parlement.

Une privatisation légale à 40% des régies d’eau

Fin 2009, le gouvernement Berlusconi approuvait le décret Ronchi qui obligeait les institutions locales à transformer toutes les sociétés qui géraient le Service de distribution de l’eau en S.P.A mixtes et à organiser des appels d’offre pour attribuer au moins 40% des actions à des entreprises privées dans chacune de ces sociétés.

Prenant acte de cette situation, nous avons décidé de proposer un référendum populaire pour l’abrogation des lois qui imposaient la privatisation et d’autres normes qui prévoyaient un minimum de 7% de profits dans les SPA pour la rémunération du capital investi (art.154 du décret environnemental fait par le gouvernement Prodi en 2006).

La Constitution italienne prévoit que pour proposer un référendum abrogatif, il est nécessaire de recueillir 500.000 signatures. Alors dans chaque région, chaque province, chaque ville, des comités de citoyens se sont organisés pour récolter ces signatures. En moins de 3 mois, nous avons recueilli 1,4 millions de signatures. Nous entrions déjà dans l’histoire sans qu’aucun journal ne prenne acte de ce grand résultat.

Dès janvier de cette année, nous avons repris la mobilisation pour nous préparer à la campagne. En mars, nous avons fait une manifestation nationale qui a vu la participation de près de 500.000 personnes à Rome, et nous avons su la date du référendum : 12 et 13 juin !

Informer dans la rue, dans les écoles, dans des réunions publiques

Le gouvernement choisissait d’envoyer les Italiens aux urnes, à un moment de l’année où historiquement l’affluence est toujours basse en Italie. La raison était simple, en Italie pour qu’un référendum soit validé, il faut un quorum de 50% de participation.

La solution la plus simple aurait été de faire le référendum en même temps que les élections municipales de mai, mais cela aurait signifié une plus grande facilité à atteindre le quorum. Début juin, la campagne officielle devait commencer, mais la télévision publique, la RAI n’avait pas l’intention de respecter les normes prévues pour une campagne électorale.

L'affiche de campagne "OUI à l'eau publique / référendum des 12 et 13 juin"

Jusqu’au référendum, l’information a été dérisoire. C’est dans les rues, dans les écoles, dans les universités, en participant à tout les événements publics, en organisant des conférences, des débats, des forums, des fêtes que nous avons fait cette campagne sans jamais attirer l’attention des grands médias qui pendant ce temps préféraient s’intéresser à toutes autres choses.

Nous n’avions aucun doute sur le résultat du vote, le plus dur n’était pas de convaincre les gens de voter OUI pour l’eau publique, mais de les informer qu’il y avait un référendum et de faire en sorte qu’ils aillent voter.

Reprendre contrôle de la démocratie en commençant par ses canalisations !

En Italie, nous votons le dimanche et le lundi jusque 15h ! La fête a commencé bien avant le dépouillement, parce que nous n’avions aucun doute sur le résultat final. À 15h, nous avons enfin su que 57 % des Italiens avaient voté ! Ce n’était pas arrivé à un référendum depuis 1995.

Nous avons écrit une belle page d’histoire. Le détail des votes n’était ensuite qu’une formalité, parce que nous le connaissions déjà, au plus profond de nous tous : 95% des votants se sont exprimés pour l’eau publique et contre les profits sur ce bien commun !

Le 13 juin, de nombreux partis ont cherché à s’attribuer une victoire qui est celle du peuple. On parle beaucoup de la défaite de Berlusconi, mais ce sont les politiques néo-libérales et les grandes multinationales qui ont été battues !

Une nouvelle ère commence dans ce pays.

Ce que nous répétons depuis le début de cette campagne s’est avéré : « ça s’écrit EAU, mais ça se lit démocratie »

Article publié initialement sur Bastamag sous le titre Eau : comment les Italiens ont dit non à sa marchandisation.

FlickR PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Referendum Acqua 2011 – Foto ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Referendum Acqua 2011 – Foto ; Paternité HPUPhotogStudent ; PaternitéPas d'utilisation commerciale Jekyll283 ; PaternitéPas d'utilisation commerciale rafa2010.

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Espagne Labs: inventer la démocratie du futur http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/ http://owni.fr/2011/06/06/espagne-labs-inventer-la-democratie-du-futur/#comments Mon, 06 Jun 2011 07:14:06 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=66317 Ne croyez pas que le mouvement espagnol s’étiole, bien au contraire ! Il entend passer à la vitesse supérieure, conscient de ses défauts et de ses qualités, et des décisions nécessaires à prendre pour avancer, sur le plan de l’organisation et de la logistique. La révolution, le changement, sont dans la rue et sur les places des quartiers. Mais c’est aussi sur les réseaux que se joue la partie la plus intéressante du mouvement, lancé par la manifestation du 15 mai dernier.

¡HackSol!

Dès la formation d’acampadasol et dans les jours qui suivent, les hackers de Madrid décident de prêter main forte au mouvement. Ils créent rapidement les outils de base qu’ils mettent à disposition de leurs compagnons comme les deux blogs Wordpress tomalaplaza et tomalosbarrios. Dans le bar du Patio de las Maravillas, rempli de lycéens bruyants, Dani raconte la naissance du collectif :

Le groupe Hacksol a surgi de lui-même de l’acampadasol. Nous nous sommes très vite rendus compte à l’ampleur du mouvement, qu’il y aurait une montagne de choses à gérer au niveau technologique.

Le patio est un centre social et culturel autogéré, dans le quartier de Malasaña, berceau de la movida espagnole. L’immeuble est désaffecté, tout en travaux inachevés. Certains étages sont vides, d’autres accueillent des services sociaux, des réunions de quartier ou d’association, des ateliers artistiques, des cours d’espagnol ou des projections de films. Hacksol réunit également des programmeurs, des graphistes et des étudiants dont une partie sont au chômage. Les hackers apportent au mouvement leur expertise technique, numérique, et gèrent les infrastructures web du mouvement, des serveurs aux listes de courrier.

Dani me présente à ses compañeros, Antonio et Charlie, hackers de leur état, dépassés par les évènements mais jamais à court d’idées et de ressources. Le nombre de participants sur le réseau monté par les hackers a quadruplé, les serveurs ont chauffé, et ils ont vite été débordés. L’extension du mouvement dans la rue en Espagne et à travers le monde, se reporte sur le web. La nécessité de transposer cette intelligence collective sur le réseau est devenue une priorité.

“Mettre l’intelligence collective sur le réseau”

Ils expliquent :

A partir de ces constatations, il a fallu repenser le réseau que nous avions construit dans l’urgence et créer de nouveaux outils.

Le blocage sur la levée du campement de l’assemblée de Sol les a également poussé à se poser la question de la prise de décision et du vote avec les commissions. La création d’une sous-commission de Hacksol, le groupe VOX, composé de programmeurs, de juristes spécialisés dans le droit sur Internet, de sociologues et de politologues ainsi que de toute personne souhaitant participer, sera chargée de penser et de développer les outils de la démocratie du futur et de changer et améliorer les processus de décision actuels. Pas simple mais passionnant, et entre les mains de tous les citoyens.

La particularité de notre génération de hackers à Madrid, est de s’être mêlés à la population depuis toujours. Nous ne sommes pas inaccessibles, au contraire ! Cela fait 15 ans que nous partageons nos connaissances avec les centres sociaux et associations culturelles de quartier, à travers le montage d’infrastructures web et d’ateliers de formation.

Antonio nous écoute parler en tapant sur son mini ordinateur couvert de stickers. Il dit qu’il croit au changement, mais pas à la révolution. “Les révolutions entraînent beaucoup de morts et aujourd’hui nous avons les outils pour agir pacifiquement et obtenir ces changements.” L’Espagne serait-elle le laboratoire numérique de la démocratie demain ? Dani embraye : “Nous nageons en pleine expérimentation, c’est la première fois que des millions de personnes dans un pays et dans le monde se réunissent autour d’une même cause, pour une démocratie réelle et participative, pour changer le système actuel.” Et Tonio d’ajouter, en souriant :

Hemos entrado en el Madrix

Adieu Facebook, Twitter et Google : hola les outils alternatifs

Antonio a beau avoir l’air nonchalant il ne cesse de s’activer sur son ordinateur. Dans les cartons, le développement d’outils web, sous licence libre et open source, bien sûr, pour relier toutes les assemblées entre elles, au niveau local et national, avec les plateformes comme tomalosbarrios, mais aussi au niveau mondial avec une plateforme dédiée, Take the Square. En cours de finalisation, un téléphone 100% voIP permettra de se connecter dans le monde entier, gratuitement et d’envoyer des sms en masse. Un Skype de la culture libre, dont la béta est déjà prête, et développé avec le logiciel Linux Asterisk qui permet d’installer des centrales téléphoniques. Des listes de discussion et des Pirate-pad pour remplacer respectivement les google ou yahoo groups/documents. Et surtout, un réseau social alternatif et citoyen qui permettra de passer au-dessus de Facebook et Twitter.

Les deux premiers seront utilisés pour la communication extérieure seulement, comme une vitrine. Mais le plus important, les discussions des assemblées, les prises de décisions, les groupes, les comptes rendus, passeront par un autre réseau social, non commercial, du nom de N-1 créé par et pour la communauté, par le réseau Lorea qu’OWNI avait rencontré au Hackerspace de Toulouse la semaine précédente. N-1 a été développé avec le moteur de réseaux sociaux Elgg avec dans l’idée d’avoir toujours ses propres plateformes et de contourner les réseaux sociaux commerciaux. Tout en continuant à les utiliser intelligemment… L’idée est bien de parvenir à une certaine autonomie technologique et que ces outils servent de base à d’autres assemblées dans le monde.

Madrid fourmille d’idées et l’Espagne de hackatons en série. Le premier commence cette semaine à Madrid avec des développeurs de Lorea venus prêter main forte à l’équipe madrilène. Un quatrième hacker, Luca, venu d’un hacklab italien et qui a passé quelque temps à Barcelone, compte s’installer à Madrid dès cet été, “au cœur de la révolution démocratique”.

Les hackers sortent de l’ombre

La nuit est tombée sur Madrid, le patio de las maravillas est rempli de monde. Il est temps de se diriger vers Sol, où les quatre hackers ont rendez-vous avec quatre personnes de l’acampadasol, de la commission communication, pour préparer la grande assemblée générale du lendemain soir. Une cinquantaine d’acampadas d’Espagne, et des acampadas internationales [#interacampadas]. Sur la place de la puerta del sol, toutes les tentes sont occupées et le petit groupe se repli sur une cafétéria à moitié vide, d’une rue adjacente. Les quatre filles et les quatre garçons discutent pendant plus de deux heures, et point par point, l’échange se fait entre les besoins concrets des assemblées de quartier et les propositions de Hacksol pour améliorer le système actuel. Pour la première fois demain, les hackers se présenteront officiellement à tout le monde et auront l’opportunité d’expliquer le fonctionnement et le but des outils mis en place sur Internet.

Le lendemain, après l’assemblée de quartier Los Austrias à la Latina, direction la Tabacalera, un autre centre culturel autogéré dans le quartier populaire de Lavapiès, au sud de la place Sol. Le bâtiment est imposant, la hauteur de mur sous plafond doit bien atteindre sept ou huit mètres, des bâches en plastique font office de rideau entre les différentes pièces. Ici une scène musicale, là un atelier de peintre, et dehors, des jongleurs, un potager, des installations d’artistes. Dans le hangar à côté, les acampadas sont en réunion depuis deux heures. 100 à 200 personnes se trouvent sur le site, donnant au lieu des airs de Demeure du Chaos.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

À la recherche de l’autonomie technologique, Hacksol entre en scène sur les coups de 19h00, dans la nave trapecio, un grand hangar qui sert de salle de réunion. Ils font œuvre de pédagogie, expliquent la nouvelle organisation et les buts recherchés : décentraliser le mouvement – Madrid ne sera plus le point de passage obligé – et se répartir la charge sur la gestion des infrastructures web.

Chaque ville devra se mettre en contact avec des programmateurs ou des hackers de confiance. La red tiene que ser libre, tiene que ser nuestra (le Net doit rester libre, il doit nous appartenir)

Sont également abordées les questions juridiques et financières. Qui va payer pour les serveurs ? Qui sera responsable de la base de données des utilisateurs du réseau N-1 auprès de la Commission gouvernementale de la protection de données ? Qui prendra la responsabilité juridique des contenus publiés sur le réseau ?

Vient le tour des questions, où chaque acampada de Séville, Malaga, Algeciras, Oviedo, Donosti – et d’autres villes encore – fait part de ses besoins, mentionne les outils qu’elles utilisent déjà et en propose d’autres. La question du design des sites par exemple, est abordée par plusieurs acampadas et très rapidement, la décision est prise de mettre en place une coordination nationale des graphistes et des webmasters, avec une liste de discussion sur le modèle de celle qui existe déjà pour les programmeurs. Le représentant d’Algeciras invite même Hacksol à faire des ateliers de formation au web sur la plage pendant que celui d’Asturie précise qu’ils ont développé une application de co-voiturage qui pourra être mise à disposition de tous. Un autre propose d’utiliser des plateformes de crowdsourcing pour financer les coûts technologiques. L’ambiance est à la fois studieuse et bon enfant. L’assemblée prendra fin sur les coups de 23h00.

Ils ont bien en tête que les infrastructures et outils qui sont développés maintenant doivent pouvoir servir à tous, en Espagne et dans le monde entier. Pour eux il est évident que le mouvement va s’étendre et que les places vont se coordonner entre elles. Et que le changement viendra.


Photos et vidéos, Ophelia Noor pour Owni /-)

Image de Une par Voces con Futura

Retrouvez notre dossier sur la démocratie réelle en Espagne.

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Madrid: fonctionnement d’une assemblée de quartier http://owni.fr/2011/06/05/madrid-fonctionnement-dune-assemblee-de-quartier/ http://owni.fr/2011/06/05/madrid-fonctionnement-dune-assemblee-de-quartier/#comments Sun, 05 Jun 2011 19:25:44 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=66184

Sauf indication contraire, tous les liens sont en espagnol

Si le mouvement du 15M, mobilisé contre le système politique espagnol actuel, est toujours vivace à Madrid, entre les assemblées générales de la place Sol et les nouvelles assemblées dans les quartiers, il doit faire face à des questions de fonctionnement cruciales pour assurer son avenir. Depuis l’annonce des résultats des élections régionales et municipales le 22 mai, le mouvement cherche à se décentraliser de Sol et “défendre dans toutes ces assemblées un fonctionnement transparent, à l’horizontal, (…) dont l’objectif principal sera d’éviter que surgissent des chefs qui décident pour l’ensemble de la communauté sans la prendre en compte, comme le font les politiques”. Les premières assemblées s’étaient donc réunies sur les places des quartiers le samedi 28 mai pour la première fois.

Madrid. Samedi 4 juin, au cœur de la Latina, l’assemblé de quartier Los Austrias ouvre sa séance à 12 heures sur la place Carros. Un quartier bobo de la capitale où vivent beaucoup de gens du spectacle (scénaristes, comédiens, etc..). Entre 50 et 100 personnes sont réunies sur la petite place, tous âges confondus. La modératrice ouvre la séance avec une présentation de l’assemblée de quartier, de ses fonctions et de ses objectifs : prendre des décisions sur les propositions d’actions concrètes et pour chacune d’entre elles, arriver à un accord unanime [un consenso]. Des équipes d’environ dix personnes animent la séance et à chacune d’entre elle est attribué un poste avec une liste de tâches. Aucune personne ne peut garder ce poste de manière définitive et un système de rotation est mis en place avec tous les citoyens de la place qui sont donc appelés à participer.

Composition et organisation des assemblées populaires

L’assemblée du quartier Los Austrias, sous la chaleur de ce samedi midi, était composée de la manière suivante :

  • Une modératrice, qui anime le débat, est chargée du bon déroulement général de l’ordre du jour, et de la durée de la séance. Elle suit les réactions de l’assemblée grâce aux différents types de gestes mis en place. (cf plus bas)
  • Un facilitateur : attentif aux débats, en cas de blocage, il va ré-articuler tout ce qui s’est dit précédemment et faire une proposition de consensus qui sera ensuite soumise au vote.
  • Une secrétaire de séance, qui prend en note les décisions finales qui seront actées.

  • Deux personnes chargées de la gestion des tours de parole : munis d’un cahier et d’un stylo, ils listent les personnes qui souhaitent prendre la parole pendant la séance.
  • Plusieurs délégués de séance qui seront chargés de faire le lien avec les autres commissions et porter le message de son assemblée de quartier à l’assemblée générale.
  • Un ou une interprète de la langue des signes.
  • Plusieurs personnes de la commission Respect, chargée de contrôler les débordements lors des discussions, comme les insultes par exemple.

Des gestes pour communiquer

Un système de gestes a été mis en place pour montrer visuellement son accord ou son désaccord ou le fait de vouloir nuancer une proposition. Un système qui permet de ne pas interrompre la personne qui termine son exposé, au modérateur de gérer le débat et en attendant que votre nom soit noté pour prendre votre tour de parole. Avant d’aborder les points clefs de l’ordre du jour, la modératrice ré-explique aux participants quels sont les différents gestes et leur signification.

#1- L’approbation

J’approuve.
Je suis en faveur de cette proposition.
Action : lever les bras et agiter les mains en tournant rapidement les poignets.

#2- Le doute ou la nuance

Je souhaite apporter une nuance à cette proposition.
Action : je lève un bras.
Les personnes sont ensuite invitées  à faire signe aux personnes chargées des tours de parole afin qu’ils les inscrivent sur la liste. Ils exprimeront ensuite leur point de vue à l’assemblée.

#3- Le désaccord avec blocage

Je suis totalement contre cette proposition.

Action : lever les mains et les croiser au niveau des poignets en fermant les poings.
..

Que se passe-t-il à ce moment là ?

Si une ou plusieurs personnes sont en désaccord radicale avec la proposition, des tours de paroles sont institués comme suit :

  • Trois personnes qui se prononcent contre.
  • Trois personnes qui sont pour.
  • Ces six personnes viennent tour à tour prendre le micro, et exposent leur opinion à l’assemblée.
  • La proposition est à nouveau soumise au vote.
  • Mais il subsiste encore des personnes contre la proposition.
  • On demande à l’assemblée si elle souhaite enclencher un autre tour de parole.
  • Si oui s’ouvre alors une autre série de tours de parole, toujours avec : 3 contre et 3 pour
  • L’assemblée vote à nouveau, pour la troisième fois.
  • S’il subsiste encore des personnes contre la proposition, elle sera soumise à nouveau à la prochaine réunion en prenant en compte les opinions exprimés

.#4- Hors-sujet ou répétition

La personne qui a pris la parole s’égare du sujet principal ou répète des choses qui ont déjà été dites.

Action : lever les bras et les mouliner.

#5- Ecourter la prise de parole

La personne qui a pris la parole s’éternise et doit en venir au fait.

Action : joindre les deux mains à plat en les levant vers le ciel.
.

#6-Le désaccord sans blocage

Je ne suis pas d’accord avec ce qui est en train de se dire, et je vous le montre par ce geste, mais je ne veux pas interrompre l’assemblée.

Action : passer plusieurs fois sa main, à plat et devant son visage, du haut vers le bas.

Blocages sur la prise de décisions

L’assemblée continue avec la lecture d’un résumé des propositions adoptées pendant l’assemblée générale de Sol [acampadasol] réunie la veille, vendredi 3 juin sur la place Sol à Madrid. Une assemblée générale de grande ampleur où étaient convoqués pour la première fois tous les représentants des 54 #acampadas d’Espagne et des internationaux #interacampadas. Est notamment évoquée l’épineuse question du campement sur la place : une minorité de personnes souhaitent maintenir en place les infrastructures actuelles. Une majorité souhaite décentraliser le mouvement de la place Sol et diriger toutes les énergies vers les assemblées de quartier, tout en conservant un point d’information.

Actuellement, le processus de prise de décisions mis en place joue contre l’assemblée générale à Sol [#acampadasol]. Il est extrêmement lent car il permet à tout un chacun de prendre la parole pour donner son opinion. Les propositions étant validées par un consensus unanime, une seule personne contre suffit à bloquer l’avancée du mouvement. Pour cette raison, l’acampadasol est bloquée sur cette question du campement depuis une semaine : “c’est le même groupe qui bloque toutes les décisions de l’assemblée “, me racontent les personnes de la commission communication, chargées des questions relatives à Internet. J’ai pu assister à leur réunion de coordination vendredi soir et tous sont conscients que ce type de blocage pourrait aussi intervenir au niveau des assemblées de quartier et affaiblir le mouvement.

Nous avons été infiltrés par des représentants de partis politiques, de syndicats, nous avons même eu affaire à une personne qui a parlé en notre nom aux médias. À Sol c’est le même groupe qui bloque les décisions et nous empêche d’avancer.

Pour cette raison, une nouvelle proposition vient compléter le processus de prise de décisions #3 “Désaccord avec blocage” et sera soumise pour ratification aux assemblée de quartier. La validation d’une proposition fonctionne dans cet ordre :
Assemblée de quartier ou de municipalité : propositions
Assemblée générale de Madrid : décisions en commun
Assemblée de quartier ou de municipalité : ratification
Assemblée générale de Madrid : décision définitive

À cela s’ajoute la création d’un groupe de travail, VOX, chargé de penser à des nouveaux processus de décision plus dynamiques à mettre en place dans cette nouvelle démocratie réelle qui prend corps chaque jour sur les places espagnoles.

Vers un consensus non unanime ?

Les citoyens qui ont pris en charge la séance font preuve d’humour et de patience, comme les participants de l’assemblée. Le système des signes est plutôt bien respecté, certains sont intimidés lorsqu’ils se retrouvent debout devant tout le monde avec le micro en main, pour exposer leurs point de vue.

La première proposition à l’ordre du jour est donc de permettre aux assemblées d’adopter des propositions sans consensus général. Il sera spécifié dans les actes, que la décision a été prise sans accord unanime. Au processus #3 décrit plus haut, s’ajoute donc la possibilité à la fin des trois tours de vote, d’adopter la proposition même s’il subsiste des personnes en désaccord, dans une proportion de 1 pour 100.

La proposition ne fait pas l’unanimité : une personne se prononce contre, comme le montre cette vidéo sous-titrée en français :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Que va-t-il se passer ensuite ? Après plusieurs tours de paroles et plusieurs votes, le facilitateur fera un résumé de ce qui a été dit et formule une nouvelle proposition : “Nous nous rendons tous compte que nous sommes en phase de rodage et nous allons garder, pour le moment, le fonctionnement actuel, c’est-à-dire avec une prise de décision validée par un consensus général. Cependant, nous allons ajouter dans notre liste de tâche cette proposition sur le consensus non unanime et y travailler. Cette décision pourra bien sûr être révoquée lors d’une prochaine assemblée.” Après un tour de vote, la proposition du facilitateur est unanimement adoptée, des applaudissement retentissent, la médiatrice remercie l’assemblée et passe au second point de l’ordre du jour.

L’assemblée aura duré en tout presque trois heures.


Photos Ophelia Noor pour Owni /-)
Image de Une par Voces con Futura
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#PublicidadOficial révèle la corruption du gouvernement Calderon http://owni.fr/2011/04/11/publicidadoficial-revele-la-corruption-du-gouvernement-calderon/ http://owni.fr/2011/04/11/publicidadoficial-revele-la-corruption-du-gouvernement-calderon/#comments Mon, 11 Apr 2011 08:03:24 +0000 David Sasaki http://owni.fr/?p=55923 Article publié initialement sur Owni.eu, sous le titre “#PublicidadOficial campaign exposes corruption in Calderon’s government”

[Liens en anglais, seuls les liens en espagnol ont été signalés] En avril 1982, le président de l’époque, José López Portillo ordonnait à toutes les agences gouvernementales du Mexique d’annuler leurs contrats de publicité avec Proceso Magazine. Il était de notoriété publique que López Portillo dirigeait l’un des gouvernement les plus corrompus du monde à ce moment là, mais cela le fatiguait de voir que les journalistes de Proceso le rappelaient constamment. Sans le soutien financier du gouvernement avec la publicité, Proceso a été forcé d’annuler le récent service de syndication, qui fournissait du contenu à plus de 50 journaux à travers le pays.

Le mois suivant, López Portillo répondait à un éditorial qui critiquait sa décision d’interdire la publicité gouvernementale dans Proceso et d’autre médias de l’opposition. Sa réponse est légendaire :

Je ne les paie pas pour qu’ils me frappent.

Trente ans plus tard, Proceso est pénalisé par le gouvernement, une fois encore, pour sa ligne éditoriale critique envers le gouvernement. En septembre 2007, le magazine proclamait que le Président Calderon utilisait la publicité gouvernementale comme un mécanisme de soutien aux médias qui le soutiennent, et comme moyen de punir ceux qui étaient contre lui.
En 2008, Proceso a publié un peu plus de cinq pages de publicité officielle [es], Emeequis [es] 75,5 pages et Milenio Semanal [es] 11,83 pages

La réponse légendaire de López Portillo rend transparent ce lien direct entre la publicité officielle gouvernementale et la liberté d’expression. Cette phrase est devenu un appel de ralliement pour une nouvelle campagne [es], visant à rendre plus transparente la manière dont le gouvernement dépense l’argent des contribuables en communication et publicité.

Cette campagne est le résultat de plusieurs mois d’enquête par Fundar [es] et Artículo [es]. Les deux organisations ont fait un nombre conséquent de requêtes pour accéder aux informations sur les dépenses au niveau fédéral et étatique du gouvernement concernant les relations presse et la communication.

Ils ont uploadé la totalité de la base de données sur un nouveau site public où les utilisateurs peuvent voir les dépenses de chaque agence gouvernementale de 2005 à 2010. Malheureusement, cette base de données, construite à partir de DataTables, ne permet pas aux utilisateurs de faire des comparaisons sur plusieurs années et agences différentes dans un même tableur mais on trouverait également un budget détaillé des dépenses par an et par type de média sur Google Public Data Explorer avec une timeline assez pratique. De même, un budget détaillé par an et par type de média est disponible sur Google Fusion Tables

Mais cette campagne va au-delà de la visualisation de la façon le gouvernement dépense l’argent des contribuables en publicité et en média. Elle inspire un débat majeur sur le rôle et les droits du gouvernement en terme de communication, dans une époque où la survie et l’autonomie du journalisme est plus fragile qu’elle ne l’a jamais été dans les cinquante dernières années. Afin de faire décoller la discussion, Fundar et Artículo 19 ont organisé une conférence de presse et un débat à l’université de la communication [es] de Mexico City.

Le directeur exécutif de Fundar, Miguel Pulido [es] a lancé le débat en mettant les pieds dans le plat. En se tournant d’abord vers le directeur d’Emeequis Ignacio Ramirez Renya, Pulido a posé la question suivante :

Est ce qu’un média mexicain indépendant peut survivre sans la publicité gouvernementale ?

Ramirez a évité la question, ou, pour être plus précis, il l’a changée :

La vrai question, a-t-il répondu, est de savoir si un média indépendant a le droit d’accepter de la publicité en provenance du gouvernement, et je pense que oui.

Pour poser un peu le contexte pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec le paysage médiatique mexicain, Emeequis est, à mon avis, le meilleur magazine de news et d’évènement du pays. Avec Gato Pardo [es], ce sont les deux plus proches des américains Atlantic Monthly ou Harpers. L’écriture est vivante, les sujets sérieux, et le design éditorial est bluffant.

Et, comme tout le monde le sait, Emeequis ne serait plus de ce monde depuis longtemps, sans l’apport financier du gouvernement à travers la publicité. Jetez un coup d’œil aux banners directory - pratiquement toutes leurs annonces online viennent d’agences gouvernementales. En d’autres termes, les contribuables subventionnent le travail journalistique d’Emeequis en finançant la publicité des agences gouvernementales comme le Conseil national de prévention de la discrimination (CONAPRED, es). Tout cela est bien. En fait, c’est l’essence de la communication de développement. Les Mexicains devraient être au fait des activités de leur agences gouvernementales et dans ce cas, soutenir le journalisme d’enquête de qualité, pour le meilleur.

Un graph de l’argent budgété et dépensé sur la publicité fédérale et les relations presse de 2055 à 2010. Les montants budgétés sont en bleu, les montants dépensés en rouge.

Ce n’est pas le type de “publicité officielle” que Fundar et Artículo 19 critiquent. Mais ils sont contre ce que Géraldine Juárez a appelé “spotisization of democracy” [es]. Ce terme signifie pour elle une réalité parallèle et bien lisse, projetée par le gouvernement et produite par des coûts élevés en RP et agences de communication.

Vous entrez dans cette réalité alternative faite de publicité pour de la bière à chaque fois que vous ouvrez un journal ou un magazine, à chaque fois que vous visitez un cinéma, à chaque fois que vous allumez votre télévision ou votre radio.

Et c’est constamment présent : le gouvernement vous dit : “Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer, les choses vont s’arranger” , même si c’est clair que non. Le directeur exécutif de Fundar, Miguel Pulido le présente de cette manière en un tweet sarcastique :

J’ai fait un cauchemar. J’ai rêvé que nous vivions tous des vies heureuses, avec un accès à la sécurité sociale et à un vaste choix d’emplois. Je vivais dans une publicité du gouvernement.

Par exemple :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Plus les mois passent, plus les mexicains pensent que leur gouvernement a échoué dans sa guerre contre la drogue. La réponse du Président Calderon s’est traduite par toujours plus d’augmentation des dépenses de l’argent des contribuables pour financer une campagne médiatique visant à les convaincre… du contraire. Non seulement les contribuables mexicains participent au financement d’une guerre très coûteuse contre les trafiquants de drogue qui donne peu de résultats sinon des morts et des déplacements de population. Ils financent aussi cette habile campagne médiatique. Par exemple :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Enfin, il existe une autre préoccupation, particulièrement en ce moment, à un an des élections fédérales. Les politiciens en exercice utilisent la publicité gouvernementale régulièrement comme déclencheur de campagne des années avant que la saison électorale n’ait officiellement commencé. La cas le plus emblématique est celui de la campagne électorale du gouverneur de Mexico et potentiel présidentiel, Enrique Peña Nieto , dont la communication a totalement été financée par les Mexicains. Il avait engagé l’actrice Lucero Hogaza León pour jouer dans une série de spot TV qui faisait l’éloge de ses exploits. Mais pire encore, ce clip, qui fait clairement partie de la campagne présidentielle, est maquillé comme une simple pub gouvernementale censée informer les citoyens :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cette manipulation éhontée de l’appareil de communication étatique pour les besoin personnels d’une campagne électorale a inspiré au sénateur Pablo Gómez une nouvelle loi qui interdirait l’utilisation de la com étatique pour sa propagande personnelle et politique [es]. Je dois encore revoir cette proposition en profondeur mais cela pourrait être un objectif concret de la campagne derrière lequel se rallier avant la fin de la prochaine saison électorale.

Pour l’instant, la #PublicidadOficial de la campagne demande aux Mexicains comment ils voudraient que les 18 milliards de pesos que l’administration Calderon a dépensé jusque là en communication soient utilisés :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Por la Educación [es], un groupement d’ONG et d’associations promouvant une meilleure éducation au Mexique, dit qu’elle construirait 18.834 écoles publiques :


Article publié initialement sur le blog de David Saski

Crédits photo via Flickr oso

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La fabrique de citoyens – Liberté http://owni.fr/2011/04/11/la-fabrique-de-citoyens-liberte/ http://owni.fr/2011/04/11/la-fabrique-de-citoyens-liberte/#comments Mon, 11 Apr 2011 06:20:59 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=47060

« Imaginez que l’on vous bande les yeux et qu’on vous expédie dans un tout autre point du monde. Pour les besoins de la démonstration, imaginons que rien, dans l’apparence ni le langage des gens, ne vous permette de deviner où vous pourriez être.
On vous emmène dans une classe ; on retire le bandeau de vos yeux, et vous observez le déroulement de la leçon.
À partir de cette observation, seriez-vous en mesure de deviner si vous vous trouvez dans un pays démocratique, ou dans un pays totalitaire ? »

Cette réflexion de Joel Westheimer [vidéo, en], professeur à l’Université d’Ottawa, est percutante : elle suggère avec impudeur que les expériences éducatives dans une nation totalitaire ne seraient pas notoirement différentes de celles que nos enfants vivent à l’école de quartier. Cela nous renvoie face-à-face avec une question centrale pour l’orientation à donner à l’éducation :
Quel genre de citoyens voulons-nous former avec nos écoles ?
… question qui doit être immédiatement complétée de son pendant :
Quel genre de citoyens formons-nous avec nos écoles ?
Comment les notions fondatrices de liberté, d’égalité et de fraternité se concrétisent-elles dans l’univers scolaire ?

Liberté

La liberté commence avec la pensée. Être libre, c’est être capable de penser par soi-même, mais également de penser autrement -les situations personnelles, sociales, culturelles ou globales.

Westheimer [pdf, en] a analysé le contenu de programmes scolaires visant à enseigner la citoyenneté démocratique. Il a trouvé que selon leur but, ces programmes se rangent globalement selon trois profils de citoyens qu’ils cherchent à promouvoir :

-    Le citoyen personnellement responsable : il agit de manière responsable envers sa communauté. Il travaille, paie ses impôts, obéit aux lois,  et à l’occasion fait des dons à la banque alimentaire de sa ville. Il pense que « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, on doit être honnête, responsable, et obéir aux lois. »
-    Le citoyen actif pense que « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, les citoyens se doivent de participer activement et occuper des positions de leader dans les systèmes établis et les structures communautaires. » Ce type de citoyen s’implique directement, par exemple en faisant du bénévolat à la banque alimentaire de sa ville.
-    Le citoyen activiste : selon lui, « pour régler les problèmes sociaux et améliorer la société, les citoyens doivent remettre en question et changer les systèmes et structures, si ces derniers ne font que reproduire l’injustice sociale ». C’est pour cette raison que dans sa réflexion l’activiste explorera par exemple pourquoi dans notre société certains ne mangent pas à leur faim -et il tentera d’agir pour résoudre les causes premières.
De ces trois modèles de citoyen, seul l’activiste « pense autrement ». Seul ce troisième niveau serait inconcevable dans une dictature (pour reprendre la remarque de Westheimer). Seul ce niveau différencie un pays démocratique d’un pays totalitaire.

La citoyenneté comme contenu d’apprentissage

Où l’école française se situe-t-elle dans ce modèle ? Quel(s) profil(s) promeut-elle ? Les Actes du séminaire national  La citoyenneté par l’éducation [pdf] s’attachent à décrire la façon dont la citoyenneté est enseignée concrètement dans les établissements scolaires ; voici un extrait de ce qu’on peut y lire :

« L’observation nous montre que souvent les principes d’obligation ou d’obéissance, de dépassement de soi, voire de frustration sont prioritairement mis en avant.

En fait, on est plus souvent là dans un apprentissage des structures et méthodes de la démocratie :
- Comment respecter la loi sinon en lui obéissant ?
- Comment développer l’esprit critique au contact de la réalité de la vie de l’établissement, de son contexte à l’aune de la confrontation de ses opinions et de celles des autres ?
- Comment élever à la compréhension de la loi en tant que règle de droit qui dit, interdit, régule et la loi comme obligation que l’on se donne ?

Si cette approche constitue un levier pour la réflexion de l’ensemble des acteurs de
l’établissement, elle est peut être beaucoup trop réductrice et porte en elle certains éléments de contradictions :

- très souvent proposée et animée par la vie scolaire, elle se limite à des propositions, des
échanges de vues qui sont considérés plus comme des espaces de consultation à l ’intérieur desquels la hiérarchie entre élèves, CPE et professeur est (à juste titre) maintenue et les pouvoirs de décisions réservés ;
- le ressenti des élèves, étant d’être quelque peu manipulés, alors qu’ils ont passé une très longue durée à travailler, à réfléchir sur des « actes de démocratie. »

Ce que cet extrait du séminaire montre, c’est que  l’école française a tendance à promouvoir une citoyenneté de « citoyen personnellement responsable » ; certaines initiatives visent parfois le niveau du « citoyen activiste », mais sans aller au bout de ses ambitions puisque les propositions des élèves ne débouchent généralement pas sur des actes.
Or, il y a possible incompatibilité entre ces deux modèles de citoyens, remarque Westheimer [pdf, en] :

« Le fait de se focaliser sur la loyauté et l’obéissance (…) gêne le type de réflexion critique et d’action que beaucoup considèrent comme essentiel dans une société démocratique. » (en, traduction de l’auteur)

Elèves manifestant leur soutien au mouvement 350.org, mobilisé contre le changement climatique.

L’école comme microcosme démocratique ?

J’avais parlé jusque-là spécifiquement de programmes scolaires repérés comme entrant dans le domaine « éducation civique ».  Mais l’extrait du séminaire nous fait mettre le doigt sur le fait que la structure même de l’univers scolaire –sa forme- ne représente pas un parfait microcosme démocratique : le fait que les propositions des élèves soient traitées comme un exercice sans retombées concrètes, la hiérarchie scolaire reprenant ses droits dans le processus de décision, paraît particulièrement anti-pédagogique lorsqu’on essaye d’inculquer que l’engagement activiste permet de faire avancer la démocratie pour le meilleur.

Le rôle des contenus d’apprentissage dans la « fabrication du citoyen »

Les contenus d’apprentissage constituent eux aussi des enjeux qui influent sur la « fabrication du citoyen » : ils privilégient certaines matières, et dans ces matières certaines approches, et certains acteurs.
Dans le remarquable ouvrage collectif  Les valeurs explicites et implicites dans la formation des enseignants, Serge Latouche, économiste français et père de la notion de décroissance économique, note que l’école participe à entretenir « l’orthodoxie économique » : les sciences économiques, telles qu’elles sont enseignées à l’heure actuelle, ne tentent pas de présenter aux élèves des modèles alternatifs à la croissance économique. Ni n’essaient de faire imaginer aux élèves des alternatives possibles au modèle dominant. Ni ne remettent en cause le lien implicite entre la croissance économique d’un pays et le bonheur de ses habitants.
Il existe, dans le choix des contenus, un consensus tacite que l’on ne pense pas toujours à questionner, ne serait-ce que pour s’assurer qu’ils sont toujours bien alignés avec les valeurs que notre société veut transmettre.

Ainsi, que penser, par exemple, de la place des femmes dans les manuels et programmes scolaires ?
Si dans nos cours de musique, nous avons certainement entendu parler de Malher, Mendelsshon ou Schuman, je doute qu’il s’agissait là d’Alma, de Fanny ou de Clara.

Sur la quatrième de couverture de l’ouvrage de Françoise et Claude Lelièvre L’histoire des femmes publiques contée aux enfants [pdf], on peut lire : « Alors que la France est parmi les premières nations de l’Union européenne pour le niveau scolaire des filles et pour le taux d’insertion professionnelle des femmes, elle est parmi les toutes dernières pour l’accès des femmes au pouvoir politique.
Étrange singularité. Françoise et Claude Lelièvre montrent, en analysant les manuels d’histoire de l’enseignement primaire en vigueur tout au long du XXe siècle, que les livres d’histoire de la communale ne sont pas pour rien dans cette curiosité.
Il faut attendre la génération des manuels de 1985 pour que l’on signale que les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, quarante ans après l’événement…(…)
Les femmes sont volontiers montrées dans des attitudes manifestement contraires à ce qui est attendu du pouvoir souverain : peureuses, pleureuses, implorantes, frivoles, facilement gagnées par les émotions ou les passions, excessives (…)
Il est plus que temps que ces stéréotypes disparaissent des manuels scolaires et des représentations dominantes si l’on veut éviter aux élections paritaires des lendemains qui déchantent. »

Vers une pédagogie citoyenne ?

Il est difficile de penser qu’on puisse développer un citoyen engagé en dissociant le fond de la forme. Ceci amène à se poser la question : quel genre de pédagogie est-elle la plus apte à transmettre les valeurs citoyennes ? Dès le premier coup d’œil, le  cours magistral ne frappe pas comme étant la meilleure « traduction pédagogique » de la démocratie.

« Certaines recherches se sont penchées sur les bénéfices cognitifs résultant directement d’interactions entre pairs. Elles ont permis de remarquer que ces interactions génèrent un processus appelé conflit socio-cognitif qui conduit l’apprenant à réorganiser ses conceptions antérieures et à intégrer de nouveaux éléments apportés par la situation.

Le conflit socio-cognitif résulte de la confrontation de représentations sur un sujet provenant de différents individus en interaction. Diverses études ont mis en avant que cette réorganisation des représentations pouvait provenir de deux types de déséquilibre : l’interindividuel, lorsqu’il y a opposition entre deux sujets ; l’intra-individuel, quant un sujet remet en question ses propres représentations. »

Christian Reynaud, de l’IUFM de Montpellier, développe plus avant la notion et parle de « débat » socio-cognitif : il identifie les conditions permettant aux apprenants de travailler ensemble, et d’apprendre de leur différences tout en les respectant. Le débat est étayé par trois règles :

« Chacun a de bonnes raisons de penser ce qu’il pense. » – impliquant que les opinions des autres sont cohérentes pour leur auteur.

« Ces arguments méritent d’être exposés à l’assistance. » – ce qui permet à la fois de donner une voix  à toutes les opinions, et en les exprimant, de les expliquer.

« Une personne ayant un avis différent est incité à reformulé au préalable les arguments auxquels il s’oppose, afin de vérifier qu’il les a bien compris. »

Un tel dispositif didactique, qui introduit directement dans son fonctionnement l’explicitation des valeurs, et les associe à un dialogue constructif respectueux, constitue un promoteur direct du développement de valeurs citoyennes ; « une citoyenneté moins basée sur le principe d’égalité que de tous que sur la reconnaissance d’un droit à la différence. »

De plus, ce type de débat s’accommoderait fort bien de contenus d’apprentissages du type de ce que suggère Serge Latouche : présenter le modèle économique dominant  en regard d’alternatives possibles constituerait les fondements d’un « débat socio-cognitif institutionnalisé » et permettrait, au-delà du débat d’idées,  d’imprimer fermement chez l’apprenant la notion qu’il n’existe pas de pensée unique.

Image Flickr AttributionNoncommercialShare Alike JaHoVil et 350.org

Retrouvez le deuxième et le troisième volet de cette réflexion.

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http://owni.fr/2011/04/11/la-fabrique-de-citoyens-liberte/feed/ 9
Engagement des jeunes: “la technologie seule n’est pas une motivation suffisante” http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/ http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/#comments Mon, 28 Feb 2011 17:00:57 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=41828 David Buckingham est professeur d’éducation à l’Institute of Education (IoE) de l’Université de Londres, où il dirige le centre d’étude des enfants, des adolescents et des médias. En décembre dernier, il a effectué une intervention à Bruxelles dans le cadre de la conférence “L’éducation aux médias pour tous”. Cette rencontre était destinée à préparer la déclaration pour l’éducation aux médias tout au long de la vie, dévoilée officiellement ce jeudi 3 mars [pdf].
Il réfute la dichotomie anciens/vieux médias et online/offline, trop simpliste pour expliquer la donne actuelle, en particulier l’engagement citoyen.

Aux vues des derniers travaux effectués dans le cadre de la conférence de Bruxelles, pensez-vous que l’on va dans la bonne direction ? Ne craignez-vous pas que cette déclaration, non contraignante, reste lettre morte ?

Je suis un peu sceptique (rires) sur ce genre de grande discussion européenne. J’ai le sentiment que les gens se réunissent à l’occasion de ces conférences pour parler de Media Literacy, d’éducation aux médias, nous concevons des déclarations que nous signons, des chartes, des déclarations, etc. Mais en réalité souvent il est difficile de savoir si cela va vraiment conduire à des actions concrètes. Je pense que si nous pouvions mettre en avant ces documents et affirmer qu’à la Commission européenne ou à travers l’Europe il y a un mouvement pour l’éducation aux médias afin que dans chaque pays les gouvernements prennent enfin cela en compte alors peut-être nous pourrions faire la différence. Mais je pense que sur ce sujet là, trouver un consensus européen aussi large a ses limites.

On entend souvent un discours pessimiste sur les jeunes, qui seraient en retrait du débat politique. Partagez-vous ce point de vue ?

Il y a beaucoup de signes en Grande-Bretagne en ce moment montrant que les jeunes sont très intéressés par les usages civiques et sociaux. Ces dernières semaines, j’ai participé à de nombreuses manifestations avec des jeunes en colère qui exprimaient très bien leurs points de vue et protestaient contre les coupes budgétaires dans les services publics et les universités. Il me semble donc que c’est une généralisation de dire que les jeunes ne sont pas intéressés par les sujets civiques et politiques mais je pense que cela dépend de la manière dont vous regardez les évènements.

Je dirais que les jeunes ont souvent un point de vue négatif sur la politique et les hommes politiques, mais je ne pense pas que cela signifie qu’ils ne sont pas intéressés par les questions politiques. Mais souvent les façons dont ils manifestent leur intérêt sont assez différentes des manières traditionnelles de parler de politique.

Lorsque nous effectuons nos recherches, une des questions que nous devons nous poser est: où faut-il regarder pour trouver l’activité civique et politique ? Si vous regardez uniquement les canaux officiels, traditionnels et établis – les partis politiques, les parlements de jeunes, vous ne trouverez pas beaucoup de jeunes intéressés mais si vous élargissez votre champ de vision, vous constaterez que les jeunes peuvent être très engagés sur des sujets politiques précis. Parfois des sujets qui les touchent directement, chez eux, par exemple les protestations étudiantes en Angleterre. Ils peuvent aussi être très engagés sur des sujets qui semblent plus lointains, sur le développement de la planète, la guerre dans d’autres pays, etc.

Pensez-vous que la technologie soit la panacée magique qui donnera naissance à cette nouvelle citoyenneté ?

Non, je pense que les gens inquiets de l’éloignement des jeunes du débat politique voient parfois dans la technologie la solution magique au problème. Ils pensent que d’une manière ou d’une autre, si les jeunes utilisent la technologie, ils seront fascinés. Mon sentiment est que certains jeunes, et aussi certaines personnes plus âgées, sont intéressés par la technologie en elle-même. Mais si la plupart des jeunes sont intéressés par ce que la technologie peut faire, ils ont besoin d’autres motivations pour s’engager sur des sujets civiques et politiques. La technologie seule n’est pas une motivation suffisante.

Concrètement, comment mettre à profit l’extraordinaire potentiel d’Internet pour que les jeunes prennent plus part au débat ?

Il existe des exemples intéressants rencontrés lors de nos recherches, d’organisations qui utilisent Internet de façon créative avec les jeunes. De façon générale, je dirais qu’il s’agit d’utiliser le potentiel participatif, de fournir aux jeunes l’opportunité de dialoguer, de faire des médias et de les distribuer, donc des sites qui permettent de mettre des commentaires aux posts de blogs, des vidéos, des photographies.

Ce potentiel participatif est important mais je dirais que cette possibilité ne suffit pas pour qu’il y ait de la participation. Les gens ont besoin d’être motivés, ils doivent avoir une raison pour franchir le pas. Nous voyons plein de plate-formes qui disent “Exprimez-vous !” et qui sont vides car les gens n’ont pas de raison de s’exprimer. L’Internet en lui-même ne fait pas la différence, il est nécessaire qu’il y ait une relation entre ce qui se passe online et offline et souvent ce qui les engage, c’est ce qui se passe offline.

Vous soulignez justement l’importance du offline, un discours que l’on n’entend pas souvent…

Oui, prenez ce qui se passe en ce moment en Grande-Bretagne avec les étudiants. Ils utilisent massivement Internet, notamment les sites de vidéos comme Youtube, auxquels ils ont recours pour communiquer sur leurs groupes Facebook, ou encore leurs téléphones portables. Les gens qui sont actifs à ce sujet utilisent la technologie de toutes sortes de façons. Mais ce qui compte pour eux c’est en fait de manifester physiquement à un endroit pour faire entendre leurs voix. D’une certaine manière, les vieux médias, télévision, journaux, sont une bien meilleure façon d’engager les gens qui sinon ne le seraient pas.

Je pense donc qu’il est nécessaire qu’il y ait une relation dynamique entre l’engagement en face-à-face, l’utilisation des nouveaux mais aussi des anciens médias. L’Internet, c’est très bien pour les activistes, les gens déjà engagés et impliqués, mais pour toucher ceux qui le sont moins, il vaut mieux utiliser la télévision.

On pourrait reprocher un certain élitisme à l’éducation aux médias ; il y aurait des buts nobles, dont la citoyenneté active, et les autres… En France, on parle de Culture avec un “C”, le point de vue anglo-saxon des “cultural studies” diffère, non ?

Oui, et mon point de vue est celui des cultural studies, pour moi l’éducation aux médias, c’est s’intéresser à la culture populaire, aux expériences des jeunes à ce sujet hors de l’école et amener cela à l’école et le considérer comme une expérience valide. Il ne s’agit absolument pas de dire qu’une culture est valide et de les faire s’intéresser à une meilleure culture.

Media literacy is only part of the story” pour vous, dans ce contexte, est-ce que l’État, qui finance en partie l’éducation aux médias, a intérêt à développer une citoyenneté active ? Des citoyens mieux éduqués, ce sont des citoyens plus critiques… Cf. le débat sur la constitution européenne.

Il y a beaucoup de rhétorique à propos de la citoyenneté active, personne ne serait d’accord avec une citoyenneté passive et si vous en discutez avec la plupart des hommes politiques, ils vous diront que c’est important que les gens s’engagent dans le processus politique. Mais vous observerez que lorsque les gens s’engagent dans le processus politique, les hommes politiques très souvent n’aiment pas ça. Ils vont parfois leur demander leur opinion, ils vont essayer de les consulter mais au final ils ne les écoutent pas vraiment. Ou quand ils s’engagent, ils sont punis.

Une fois encore, les manifestations sont un très bon exemple. J’y étais en novembre dernier, les gens n’avaient pas été violents du tout, mais ils ont été contenus par la police comme du bétail, dans un petit espace, et ont été écrasés tous ensemble sans raison valable. Nous exercions notre droit à protester et nous avons été punis pour cela. Il y a trois ou quatre ans, j’ai fait partie de ces millions de gens qui ont participé à la grande marche de Londres, pour exercer notre droit et exprimer notre opinion sur la guerre en Irak.
Nous avons tous été complètement ignorés. Les hommes politiques veulent que les gens votent et se comportent d’une façon correcte et respectable mais dès qu’ils vont plus loin, qu’ils veulent exercer leurs droits démocratiques comme manifester pour faire entendre leur voix, souvent les hommes politiques ne sont pas intéressés, en dépit de ce qu’ils disent.

Manifestation des étudiants "Fuck Fees" Londres 2010

Vous faites le parallèle entre la façon dont les professionnels du marketing approchent les consommateurs et la façon dont les gouvernements et les organisations approchent les citoyens avec la Media Literacy, en utilisant des outils et un vocabulaire presque similaire, la notion d’empowerment et les médias sociaux par exemple. Quelles seraient les solutions pour une éducation aux médias indépendante ?

Empowerment est un terme rhétorique, un terme “feel-good” comme communauté ou citoyenneté. Les gens pensent que ce sont de bonnes choses. Un des problèmes est que ces termes ne définissent pas vraiment ce qu’ils signifient. Quand des professionnels du marketing parlent d’empowerment, c’est une forme très superficielle d’empowerment. Il existe un paradoxe. Quand les pros du marketing parlent d’enfants et de jeunes gens, ils affirment qu’ils veulent  donner de l’empowerment, qu’ils puissent avoir leur mot à dire, le droit des enfants à choisir. Ils utilisent de plus en plus de méthodes interactives, qui demandent de la participation. Mais tout cela reste superficiel.

Durant votre dernière conférence, vous avez dit que la frontière entre le marketing et les médias s’estompe, s’agit-il du plus grand défi de l’éducation aux médias dans notre société ?

Oui, je pense que l’une des questions clefs aujourd’hui est qu’il est très difficile de faire la distinction entre médias et marketing. Si nous regardons les jeux les plus populaires auprès des enfants, les Pokemon sur lesquels j’ai fait une étude par exemple, Harry Potter , ou lesHigh School Musicals, tout est du marketing, une forme de publicité. Quand nous voulons nous intéresser aux médias en classe, nous prenons des textes sur le sujet que nous déconstruisons et analysons. C’est assez pointu mais les enseignants, pour la plupart, sont à l’aise avec ce type de travail. Les professeurs qui enseignent la littérature et savent comment analyser de la poésie, peuvent très bien le faire pour la publicité ou la fiction. Mais les professeurs sont démunis dès qu’il s’agit d’expliquer comment l’industrie et les processus commerciaux par lesquelles ces choses sont produites fonctionnent.

Comment faire pour les aider ? Que peuvent faire les gouvernements, les associations ?

En tant que formateur pour les enseignants sur ces sujets, je me rend compte qu’ils ont effectivement besoin de formation. Mais pour moi, la responsabilité la plus grande repose sur les gouvernements et les organisations qui régulent les médias. Mais c’est aussi aux organisations de médias elles-mêmes d’informer les gens sur ces sujets.

Crédit photo via Flickr dblstripe [by-nc] Andrew Moss [cc-by] ; The shifted Librarian [cc-by-nc-sa]

La page de David Buckingham [en] sur le site de l’IoE

Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie

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La désobéissance civile comme expression d’un nouveau besoin de démocratie http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/ http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/#comments Wed, 16 Feb 2011 15:58:54 +0000 Marc Milet (Non fiction.fr) http://owni.fr/?p=38077 Arracheurs volontaires d’OGM cultivés en plein champ, enseignants qui refusent de communiquer leurs notes, directeurs d’école qui s’opposent à renseigner des bases informatiques, autant d’actes qui se sont multipliés depuis la dernière décennie et qui ont connu des interprétations contradictoires, tantôt jugés illégaux donc illégitimes pour les uns, parfois perçus comme une forme d’engagement citoyen par les autres.

Dans Pourquoi désobéir en démocratie ? Albert Ogien, sociologue, chercheur au CNRS, et Sandra Laugier, universitaire, professeure de philosophie, ont choisi de mettre en commun leur savoir-faire respectif afin de présenter et de mieux cerner la nature de ces formes publiques d’action présentées par Henry David Thoreau, dès le milieu du XIXème siècle, comme des actes de « désobéissance civile » (DC). La forme interrogative du titre énonce l’apparent paradoxe de ceux qui, selon l’heureuse formule employée, décident de « se mettre volontairement en illégalité ».

Le dilemme citoyen pourrait se présenter en ces termes : pourquoi donc opérer un choix relativement risqué en démocratie, alors même que nous vivons dans un régime de liberté qui offre mille et une manières et opportunités de contester la politique menée et les lois votées, qu’il s’agisse du recours, cyclique, au vote, ou encore de l’usage devenu ordinaire des formes d’action collective telle que la manifestation ? Albert Ogien et Sandra Logier récusent l’appréciation qui ferait de la DC la perception d’une faiblesse interne ou d’une dégénérescence de la démocratie. Ils énoncent, au delà même de la désobéissance civile, dans quelle mesure « la résistance » se révèle consubstantielle à la démocratie.

D’une désobéissance «civile» à une désobéissance «civique»

Cette thèse, forte, selon laquelle « la désobéissance civile est une forme d’action politique constitutive de la démocratie » (p.199) est défendue et assénée tout au long de l’ouvrage. La désobéissance civile contribue au perfectionnement démocratique par l’extension continue de droits qu’elle appelle, le contrôle citoyen qu’elle exerce, la manifestation d’une société ouverte dont elle témoigne. En ce sens, l’ouvrage offre une analyse des formes contemporaines de l’action collective alliée à une réflexion profonde sur l’essence même du politique. Les auteurs nous montrent ainsi notamment comment s’opère un déplacement du champ d’action, du champ politique au champ judiciaire dans lequel intervient la figure du juge appelé à trancher le litige démocratique. Même si l’on disposait déjà d’analyses centrées sur certains aspects de la question (citons les travaux de la juriste Daniel Lochak, du politiste Daniel Mouchard, de la sociologue du droit Liora Israël), l’alliance de deux approches, sociologique et philosophique, permet de disposer, une fois n’est pas coutume, d’une lecture relativement exhaustive du phénomène. En témoigne le plan retenu qui, après un cadrage des principaux enjeux, propose une enquête avant de revenir à une interrogation sur le statut même du politique.

Pour qui souhaite disposer d’un panorama historique des idées, l’ouvrage offre en premier lieu une présentation synthétique, claire et très utile de la pensée des principaux auteurs qui, de Thoreau, à Hanna Arendt, en passant par John Rawls, ont conceptualisé ou étayé la théorie de la désobéissance civile. Loin de s’en tenir à une pure reprise des théories évoquées, les auteurs s’engagent dans le débat, refusent de voir dans la désobéissance, devenue « civique » sous la plume d’Etienne Balibar, les prémices d’un grand soir, là où il s’agit avant tout de contester l’illégitimité des politiques menées.

Ils choisissent en ce sens aussi de bien distinguer les « désobéissants », professionnels ou militants de la contestation renouvelée, des « désobéisseurs », qui mettent en acte les quatre attributs définis par les deux auteurs comme aux conditions mêmes de l’acte : une rupture d’allégeance à l’Etat qui soit ainsi de caractère public, personnel, général et établi au nom de principes ou d’impératifs moraux supérieurs.

Les quatre domaines retenus – ceux de la médecine libérale, de l’hôpital, de l’école, et de l’université – contreviennent à la présentation devenue l’idéal typique du faucheur d’OGM, et nous montrent une autre réalité moins connue alors même qu’elle se révèle sans doute plus significative d’un phénomène qui, sans être majoritaire, s’est largement répandu. Les agents de l’Etat qui subissent une « dépossession » de leur activité au profit d’une culture du rendement aux résultats parfois absurdes s’engagent dans de multiples actions en désobéissance à travers le refus individuel ou collectif de remplir leurs obligations légales, pour l’essentiel sous forme d’un refus de transmission de données administratives.

Une réponse à l’émergence de la performance dans la sphère publique

Les pages sans doute les plus intéressantes de la partie empirique de l’ouvrage, dans la continuité d’une sociologie économique établie par Max Weber, montrent alors le lien étroit entre l’esprit du capitalisme et la dynamique bureaucratique. Au tournant de ce nouveau siècle, celui-ci prend la forme d’un impératif d’efficacité qui établit la culture de résultat en forme de gouvernement, impose désormais les critères de performance d’entreprise à l’action publique et politique, fait de la quantification (le recours aux chiffres afin d’évaluer l’écart par rapport aux objectifs) le nouvel étalon de la bonne gouvernance. Même si le détour par un chapitre complet consacré aux processus de chiffrage, éloigne quelque peu du propos, c’est pour mieux démonter les arcanes de ce processus : les buts secondaires (les moyens) se substituent aux objectifs, dont il est aussi rappelé dans quelle mesure leur définition même, loin d’être aisée, renvoie à de multiples problèmes et méconnaît les luttes sur les différents critères de finalité à retenir.

Dans la lignée cette fois-ci des travaux sociologiques français sur la fabrique des risques, il apparaît que c’est l’Etat en définitive qui contribue à créer lui-même la DC (l’orientation des politiques d’immigration est définie comme le point d’orgue de cette logique) ; dans les pages parmi les plus convaincantes de l’ouvrage, l’on comprend ainsi mieux le renouveau de ce type de pratiques. En guise de deuxième face d’un même miroir, le retrait de l’Etat de la sphère sociétale conduit aussi à rogner immanquablement sur l’espace de la désobéissance civile.

Le titre du livre ne rend toutefois pas pleinement compte du champ investi, car de ce fait, les cas traités demeurent centrés quasi-exclusivement (hormis la médecine libérale mais encore s’agit il d’un secteur en lien avec les subsides publiques) sur les actes de désobéissance civile dans les organismes de Service Public.

L’apport d’une double analyse de sociologue et de philosophe rencontre (seulement) sur ce point sa limite, dès lors que l’exercice s’apparente bien plus à une juxtaposition des approches qu’à un véritable regard croisé. Dans la lignée de la littérature existante, on peut aussi déplorer l’absence de confrontation avec le « cas limite » que constitue le positionnement de certaines associations anti-avortement qui aiment à se placer sous le sceau de la désobéissance civile. Les actions collectives d’empêchement de la pratique des avortements menées par des militants radicaux pose l’aporie que constitue l’autolégitimation de la mobilisation (j’énonce un principe que je pose comme universellement accepté, en l’espèce « le droit à la vie »). De notre point de vue, l’intégration dans le débat des ces formes de révolution conservatrice, offrirait une interrogation intéressante sur la nature même des attributs de la désobéissance civile.

On est en effet loin de penser que cette interrogation offrirait un cadre justificatif de ces actions, pas plus qu’elle ne saperait les fondements légitimes de la DC. Une telle comparaison aurait le mérite de contrevenir à l’idée selon laquelle la désobéissance civile ne servirait qu’à légitimer certains mouvements de protestation vis-à-vis des politiques gouvernementales menées. Albert Ogien doit d’ailleurs lui-même concéder que le cas des protestations des médecins « ne tomb[e] pas formellement sous la définition de la désobéissance civile ».

L’ouvrage publié dans une collection engagée de « philosophie pratique » entend bien répondre à la question posée. Pour le moins, quel que soit le point de vue adopté par le lecteur, il trouvera dans ces pages une aide à la réflexion citoyenne et un éclairage théorique des plus stimulants sur la question démocratique

Titre du livre : Pourquoi désobéir en démocratie ?
Auteur : Sandra Laugier , Albert Ogien
Éditeur : La Découverte
Collection : Textes à l’appui
Date de publication : 30/11/99
N° ISBN : 2707165409

Article publié à l’origine sur Non-fiction.fr sous le titre Sur le retrait d’allégeance en démocratie.

Photos FlickR CC : Cmic Blog ; Cicilie Fagerlid.

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La pauvreté de l’information politique http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/ http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/#comments Mon, 07 Feb 2011 11:00:58 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=45282 Pourquoi les journalistes politiques en télévision s’attachent-ils aux tactiques politiciennes plutôt qu’au fond ? C’est l’une des questions que soulève Narvic dans son dernier billet riche et passionnant. Voici quelques hypothèses…

Il faut simplifier

Le grand public est ignare, et le format télévisuel est trop court pour s’attacher au fond. Reste donc les questions de tactique, de petite politique : les attaques, les petites phrases, les ambitions… On a droit de façon systématique à cette question cul de sac : « serez-vous candidat à la prochaine élection? » Laquelle donne lieu à la traditionnelle réponse « langue de bois » : « je ne me préoccupe pas de cela pour le moment, ce sont les Français qui m’intéressent et ma mission actuelle blabla… »

Ce parti-pris s’appuie sur un mépris plus ou moins conscient du public : « ils ne peuvent pas comprendre ». Le monde est devenu tellement complexe, comment voulez-vous faire comprendre les différentes mesures fiscales, au cœur de la politique des partis, à madame Michu qui ne maîtrise pas les bases de l’économie ? Autant demander à un aveugle analphabète de lire Proust.

Il faut donner au public ce qu’il veut

Le lecteur se fiche littéralement du fond, contrairement à ce qu’il clame. Si l’on devait croire les déclarations des enquêtes lecteurs, tous liraient Le Monde ou le Courrier international, et aucun ne s’intéressait à Voici ou Closer. Sauf que les premiers ont un tirage bien moindre (sans parler du nombre de lecteurs beaucoup plus important en presse people, en raison de la forte duplication, chez le coiffeur notamment :) Ce qui séduit le lecteur c’est le léger, le divertissant le sordide… A quoi bon tenter de forcer sa nature ?

Il faut permettre aux médias de survivre

L'Express du 6 octobre 2010

D’autant que la contrainte économique est de plus en forte sur les médias. Si la course à l’audience devient un critère permanent sur les émissions d’information, comme le JT de 20h, il devient impossible de lutter contre les infos people, insolite, faits divers proposées par le concurrent. C’est comme proposer à ses enfants des lentilles, quand la belle-famille leur offrent des fraises Tagada. Le combat est inégal à la base et perdu d’avance, du moins sur le plan quantitatif.

D’où les contorsions où sont conduits les éditeurs de presse pour vendre leurs canards avec des couvertures accrocheuses, voire racoleuses. D’où leur propension à orienter les débats vers des questions polémiques qui plaisent, suscitent l’attention et font parler de soi (publicité gratuite).

C’est la prime aux polémiqueurs

Toute controverse susceptible de « buzzer » vaut à son auteur récompense et estime de sa direction ou des concurrents. C’est la capacité de Fogiel à rentrer dans le lard de ses invités, notamment politiques, qui l’a propulsé en télévision. Comme ce sont les prises de bec entêtées de Nicolas Demorand qui ont assurément fait monter sa cote au mercato médiatique et sans doute en partie valu sa nomination à Libération. La mesure, la discrétion, le travail patient de fourmi ne sont décidément pas des valeurs à la mode dans cette course à l’attention. Compétition dans laquelle les médias, comme les individus, doivent agiter bien fort les bras pour se faire remarquer.

C’est le prix de la polyvalence

Pour poser les bonnes questions, il faut avoir une idée des réponses possibles et donc une excellente culture spécialisée en politique. Or en télévision comme en presse, ceux qui tendent à prendre la parole sont de plus en plus des généralistes avec une bonne plume. Ce que Versac appelle le syndrôme Raphaëlle Bacqué. Quand ce ne sont pas purement des amuseurs, comme Michel Denisot choisi par le Président de la République pour l’interviewer (pratique en soi d’un autre âge) et dont les questions ont exclusivement porté sur des questions de tactique et jamais sur le fond. Le côté inoffensif de l’interviewer, n’est sans doute pas étranger à ce choix, comme l’incroyable longévité d’un Alain Duhamel, désespérément insipide, en dépit de ses grands airs inspirés.

En contrepoint, quelques préconisations

Pour améliorer la qualité des débats et des questions politiques en télévision, la première chose est de sortir cette thématique du champ concurrentiel. Plutôt que mettre fin à la publicité après 20h sur le service public, le Président eut été mieux inspiré de donner au service public la garantie de perdurer. Et ce, indépendamment de l’audimat, en particulier s’agissant des JT, lieu crucial de l’information politique pour la majorité des Français. Le JT de TF1 devant celui de France 2 ? Chouette, ma redevance sert à quelque chose.

Au risque de me répéter, s’il faut donner au public ce qu’il veut, il faut aussi lui proposer ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut. C’est le fameux paradoxe de l’oeuf et la poule. Pourquoi voulez-vous que le public demande autre chose, si on ne lui propose jamais rien d’autre que ce qu’il aime et apprécie déjà ? C’est la frilosité des médias qui est en cause ici, qui préfèrent jouer les valeurs sûres de la petite politique ou du débat controversé, plutôt que le risque de la profondeur. C’est aussi le manque de créativité dans l’absence de formats qui pourraient concilier les deux. Il nous faudrait des vulgarisateurs politiques comme Michel Chevalet dans le domaine scientique, ou qui viennent nous expliquer, schémas, cartes ou modélisations à l’appui les enjeux du débat.

Il faut des dispositifs de traitement de l’information en temps réel qui permettent aux journalistes de corriger une mauvaise information ou un mensonge des politiques au moment où ce il est proféré. Et s’inspirer de sites comme Politifacts et son Truth-o-meter qui apporte un emballage attrayant aux questions de fond : quel est le degré de vérité de telle ou telle assertion ?

Le Truth-o-meter de Politifacts.com

Il faut croire en l’intelligence des gens et se remettre en question plutôt que d’accuser la bêtise des autres. Le sujet est bien souvent moins en cause que le format proposé. Ne rejetons pas systématiquement les sujets difficiles au motif qu’ils feront peu d’audience. Sur le long terme, les médias qui survivront seront ceux qui auront réussi à préserver le fond et la forme et satisfaire des besoins différents : de divertissement, de socialisation, mais aussi de sens.

Il faut un minimum de spécialisation des journalistes, les fameux « rubriquards » autrefois incollables dans leur domaine, aujourd’hui bien souvent retraités. Comme disait Henri Béraud,

Le journalisme est un métier où l’on passe une moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire ce que l’on sait.

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Publié initialement sur le blog Mediaculture de Cyrille Frank aka Cyceron sous le titre : Pourquoi l’information politique est-elle si pauvre ?
Crédits photos : Nationaal Archief, [Domaine Public] via Flickr ; capture d’écran de la couverture de l’Express [06102010] ; Stuck in Customs CC-by-nc-sa via Flickr ; Capture d’écran du site Politifacts.com

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http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/feed/ 11
Appel à projet: L’Hadopi à l’école? Oui mais en ECJS! http://owni.fr/2010/09/16/appel-a-projet-lhadopi-a-lecole-oui-mais-en-ecjs/ http://owni.fr/2010/09/16/appel-a-projet-lhadopi-a-lecole-oui-mais-en-ecjs/#comments Thu, 16 Sep 2010 11:05:32 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=28335

Débattre avec des arguments tu devras.

Cela fait partie des mauvaises surprises de son adoption : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet et demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés », peut-on lire sur le très officiel site Educnet du ministère.

Puis juste en dessous : « Ainsi les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur »[1].

Et voici donc l’enseignant que je suis contraint devant ses élèves à se transformer en porte-parole d’une loi qu’il critique dans ses grandes largeurs. Dès lors comment faire lorsque l’on est très loin de considérer que « l’Hadopi favorise la diffusion de la création sur Internet » ? Renier quelques-uns de ses principes ou désobéir à son employeur qu’est l’État, tel est le cruel dilemme !

Il y a pourtant une issue, et c’est ce même site Educnet qui nous montre la voie : « L’ensemble de ces démarches d’information doit s’inscrire dans une stratégie globale de l’établissement, de l’école, qui favorise le dialogue avec les élèves, leur appropriation des droits et devoirs des internautes citoyens et responsables qu’ils sont en puissance : rédaction d’une charte des usages d’internet, informations et débats pendant les heures de vie de classe ou d’ECJS, sensibilisation à l’occasion de l’utilisation d’un outil spécifique. »

Informations et débats pendant les heures d’ECJS, voilà l’option retenue par ce billet, en appelant enseignants (en charge ou non de l’ECJS cette année), élèves, parents d’élèves et acteurs de la « bataille » Hadopi de bonne volonté à se joindre au projet, d’autant qu’il est fortement suggéré d’inviter des intervenants extérieurs à entrer dans les classes pour participer.

Parce que, comme nous allons nous en rendre compte ci-après, on peut, en toute légalité et dans le même mouvement, respecter le vœu du législateur et interpeller les élèves sur la genèse, la rédaction et l’application de cette loi.

L’ECJS Késako ?

L’Éducation civique, juridique et sociale, ou ECJS, est un enseignement relativement méconnu parmi la pléthore de matières que compte le lycée. Peut-être parce qu’elle propose un certain nombre d’originalités.

Tout d’abord c’est une discipline jeune puisque créée en 2001. Ensuite, elle ne dispose pas de professeur attitré et est dispensée par n’importe quel autre professeur de l’établissement scolaire (traditionnellement ce sont plutôt les enseignants d’histoire ou de sciences économiques qui s’y collent, mais rien n’empêche un professeur de mathématiques de se porter candidat). Mais c’est surtout une discipline qui, à de rares exceptions près, n’ajoute pas de nouvelles connaissances puisqu’il s’agit avant tout de les réinvestir pour y faire « l’apprentissage de la citoyenneté » dans le cadre du dispositif pédagogique novateur qu’est le « débat argumenté ».

Toutes séries confondues, l’horaire alloué est d’une demi-heure par semaine pour les trois niveaux que sont la seconde, la première et la terminale, que l’on transforme généralement en deux heures une fois par mois ou une heure deux fois par mois. L’ECJS n’est pas incluse dans l’examen final du baccalauréat.

Mais il est génial ce programme d’ECJS !

En gardant l’Hadopi dans un coin de notre tête, prenons le temps de parcourir ensemble le programme officiel d’ECJS. Car comme vous allez vous en rendre compte, c’est une lecture riche d’enseignements.

Je m’excuse par avance de la longueur des extraits ci-dessous. Il s’agit de mieux appréhender ce qui fait la spécificité et la noble ambition de l’ECJS (que de nombreux parents d’élèves ignorent totalement). Il s’agit également de comprendre en quoi un débat argumenté autour de l’Hadopi y aurait toute sa place, en permettant aussi bien d’expliquer cette loi que de la critiquer. Il s’agit enfin de commencer à percevoir qu’au-delà d’Hadopi, c’est par la porte de l’ECJS que pourrait un jour entrer cette grande absente de l’école qu’est la « culture libre ».

En voici une sélection des Principes généraux.

Concourir à la formation de citoyens est une des missions fondamentales du système éducatif. Au sein du dispositif de rénovation des lycées, la création d’un enseignement d’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) constitue une des principales innovations. Le nombre d’heures qui lui est globalement accordé étant modeste, c’est dans ses objectifs et par ses méthodes que cette innovation doit être significative.

Que signifie « éduquer à la citoyenneté » dans un système scolaire ? Deux réponses sont possibles. L’une consiste à faire de la citoyenneté un objet d’étude disciplinaire, au même titre que les mathématiques, la physique, la littérature etc. ; la citoyenneté s’apprendrait à l’école avant de s’exercer dans la vie du citoyen. L’autre réponse part de l’idée que l’on ne naît pas citoyen mais qu’on le devient, qu’il ne s’agit pas d’un état, mais d’une conquête permanente ; le citoyen est celui qui est capable d’intervenir dans la cité : cela suppose formation d’une opinion raisonnée, aptitude à l’exprimer, acceptation du débat public. La citoyenneté est alors la capacité construite à intervenir, ou même simplement à oser intervenir dans la cité. Cette dernière réponse peut être mise en oeuvre au lycée aujourd’hui.

Lorsqu’une pratique éducative consiste à transmettre un savoir sous forme d’une succession d’évidences sanctionnées par les autres, l’élève apprend en outre autre chose que ces contenus : il apprend que le savoir est détenu par des autorités, il a la tentation de ne le recevoir que passivement, il commence par admettre qu’il peut être délégué à « ceux qui savent ». Appliquée à l’ECJS, une telle pratique formerait des citoyens passifs, percevant le savoir comme déconnecté de ses enjeux sociaux, économiques et politiques. Certes, on ne crée pas le savoir, on le reçoit ; il est énoncé et validé par quelqu’un qui fait autorité. Mais le savoir n’est pas seulement quelque chose de transmis ; on doit aussi se l’approprier. L’élève pourra exercer sa citoyenneté grâce au savoir, mais un savoir reconstruit par lui, dans une recherche à la fois personnelle et collective.

L’éducation civique, juridique et sociale doit être abordée comme un apprentissage, c’est-à-dire l’acquisition de savoirs et de pratiques. Grâce à ce processus doit s’épanouir, à terme, un citoyen adulte, libre, autonome, exerçant sa raison critique dans une cité à laquelle il participe activement. Ainsi se constitue une véritable morale civique ; celle-ci contient d’abord une dimension civile fondée sur le respect de l’autre permettant le « savoir-vivre ensemble » indispensable à toute vie sociale, mais elle suppose aussi une nécessaire dimension citoyenne faite d’intérêt pour les questions collectives et de dévouement pour la chose publique.

Le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techniques.

C’est cette dernière citation qui m’a servi de base pour mon article Plaidoyer pour étudier le droit à l’école. Or justement, avec l’Hadopi en ECJS, on améliore illico la situation.

Téléchargez des contenus illégaux, c'est dark. Ou pas.

La suite donne quelques détails sur la pratique pédagogique du débat argumenté.

Mobilisant un ensemble de connaissances disponibles, l’ECJS doit satisfaire la demande exprimée par les lycéens lors de la consultation de 1998 sur les savoirs, de pouvoir s’exprimer et débattre à propos de questions de société. Le débat argumenté apparaît donc comme le support pédagogique naturel de ce projet, même s’il ne faut pas s’interdire de recourir à des modalités pédagogiques complémentaires.

Faire le choix du débat argumenté n’est ni concession démagogique faite aux élèves ni soumission à une mode ; c’est choisir une méthode fructueuse. Le débat argumenté permet la mobilisation, et donc l’appropriation de connaissances à tirer de différents domaines disciplinaires (…) Il fait apparaître l’exigence et donc la pratique de l’argumentation. Non seulement il s’agit d’un exercice encore trop peu présent dans notre enseignement, mais au-delà de sa technique, il doit mettre en évidence toute la différence entre arguments et préjugés, le fondement rationnel des arguments devant faire ressortir la fragilité des préjugés. Il doit donc reposer sur des fondements scientifiquement construits, et ne jamais être improvisé mais être soigneusement préparé. Cela implique qu’il repose sur des dossiers élaborés au préalable par les élèves conseillés par leurs professeurs, ce qui induit recherche, rédaction, exposés ou prises de parole contradictoires de la part d’élèves mis en situation de responsabilité et, ensuite, rédaction de comptes rendus ou de relevés de conclusions.

Le débat doit reposer sur le respect d’autrui et donc n’autoriser aucune forme de dictature intellectuelle ou de parti pris idéologique.

Le dossier documentaire sur lequel se fonde le débat est le témoin de la progression de cette démarche. Il peut prendre des formes variables : présentation de textes fondateurs ou de textes de loi, sélection d’articles de presse, collecte de témoignages, recherche ou élaboration de documents photographiques, sonores ou vidéo. C’est ici que l’ECJS peut utiliser toutes les modalités interactives de la recherche documentaire actuelle.

L’objectif de ce billet est de suggérer aux enseignants en charge de l’ECJS de faire d’Hadopi l’un de leurs sujets de débats argumentés. Nous pourrions par exemple regrouper les volontaires dans une liste de discussion dédiée qui serait un espace d’échanges autour du projet. Et de commencer alors à envisager ensemble une liste de ressources à intégrer dans le dossier documentaire, aidant ainsi les élèves à faire un premier tri.

Dans le cadre de la liberté des choix pédagogiques, les élèves doivent acquérir des méthodes à travers lesquelles ils seront initiés à l’étude des règles juridiques et des institutions. On peut ainsi, à propos de situations concrètes, enseignées ou vécues, et sans préjuger de l’usage d’autres pratiques, identifier trois moments remarquables.

- Le premier moment étudie les circonstances et les conditions de l’invention de la règle ou de l’institution. On a trop tendance à oublier l’origine et l’histoire des règles (…) L’histoire est donc ici très particulièrement mobilisée ; étudier les conditions de naissance d’une règle, en montrant qu’elle est une production historique et non un a priori absolu, contribue à humaniser la règle de droit : ce n’est plus un dogme mais une règle de vie.

- Le deuxième moment privilégie l’étude des usages de la règle par les acteurs sociaux concernés. La règle n’est pas nécessairement utilisée comme ses inventeurs l’avaient imaginé : la pratique d’une règle peut s’éloigner des principes qui ont guidé sa fondation. Il faut donc conduire l’élève à se demander pourquoi les acteurs sont amenés à utiliser une règle dans un sens plutôt que dans un autre.

- Le troisième moment s’attache aux discours produits sur les règles. Chaque époque produit des discours qui tentent de justifier rationnellement les règles existantes. D’une époque à une autre, d’un lieu à un autre, ces discours peuvent différer jusqu’à être contradictoires.

Je ne sais pas ce que vous en penserez mais ces trois moments s’accordent parfaitement bien avec la jeune histoire (non achevée) de la loi Hadopi ;-)

Quant au passage suivant, c’est une invitation lancée à tous :

De très nombreux professeurs, par leur savoir, leur culture, leur implication dans la vie du lycée, ont vocation à contribuer à cet enseignement. La participation d’intervenants extérieurs, témoins dans un champ social étudié, est évidemment souhaitable.

Vient ensuite le détail du programme pour chaque niveau du lycée. L’intitulé de celui de seconde est : De la vie en société à la citoyenneté.

L’actualité locale, nationale et internationale fournit de nombreux matériaux qui permettent aux enseignants de construire un débat sérieux sur un sujet civique, politique, juridique ou social mettant en évidence une dimension de la citoyenneté. Le choix d’un événement ou d’une combinaison d’événements dans l’actualité doit répondre à deux soucis : d’une part être susceptible d’intéresser les élèves, d’autre part permettre d’éclairer une des dimensions de la citoyenneté.

L’Hadopi, pardi ! Avec cette étrange particularité que certains élèves par leurs pratiques numériques vont se sentir directement visés par la loi !

La première tâche face à un événement consiste à confronter les sources d’information pour, en les croisant, attester de la réalité de ce qui va être étudié. L’événement brut n’existe pas en lui-même, il n’existe qu’à travers le médium qui le fait connaître et il est différemment reçu selon les représentations dominantes du moment. Prendre de la distance par rapport aux faits communiqués est donc essentiel à l’éducation du citoyen.

La vie quotidienne dans la cité fournit des occasions de réflexion sur la nécessaire civilité des rapports humains en tant que première condition de l’exercice de la citoyenneté. On peut le montrer à partir de l’étude de manifestations d’incivilité ; on peut aussi utiliser différents faits de la vie sociale. La citoyenneté ne se réduit pas à la simple civilité. Elle implique la participation à une communauté politique.

L’intitulé du programme de Première est : Institutions et pratiques de la citoyenneté.

Il entre parfaitement en résonance avec le sujet qui est le nôtre quand on pense aux actions de protestations issues d’Internet et à des associations telles que La Quadrature du Net.

Dans notre régime politique, celui de la démocratie représentative, la participation politique prend essentiellement la forme de l’élection de représentants du peuple, mais aussi d’autres formes : participation au débat public, actions collectives… Le principe de la représentation apparaît comme le fondement de la légitimité dans toute société moderne et peut être ainsi un moyen d’aborder les grands problèmes politiques contemporains.

Ainsi, le fait politique peut être abordé à travers l’idée de représentation. Dans tous les domaines qu’elle structure – Assemblée Nationale, partis, syndicats, associations, lycées… – la représentation crée une mise à distance entre représentants et représentés tout en les mettant en relation. Ces deux mouvements produisent, selon les époques et à des rythmes variables, des tensions continues, inévitables dans les sociétés démocratiques : tensions entre les différentes institutions, entre ces institutions et le monde vécu par les citoyens.

Ces tensions, source de conflits inévitables, sont constitutives du sens moderne du politique. On pourra les analyser en montrant que les sociétés démocratiques s’efforcent de les gérer par des pratiques politiques qui sont conformes aux principes du droit et excluent le recours à la violence.

En ce sens, la représentation politique désigne le processus par lequel des gouvernants sont légitimés par l’élection pour parler au nom du peuple et habilités à décider en son nom. L’interrogation sur les formes de la représentation politique et les problèmes qu’elle rencontre peut servir de point de départ à la réflexion. Celle-ci mérite enfin d’être enrichie par l’analyse d’un ensemble de concepts : pouvoir, domination, autorité, violence, et leur mise en relation à travers des faits précis. Il est en effet recommandé d’étudier ce thème en partant d’un exemple.

Le citoyen se définit par l’exercice de la souveraineté politique dans la Cité à laquelle il appartient. L’exercice de la citoyenneté ne saurait donc se réduire ni à la possession de droits fondamentaux, ni à l’exercice du droit électoral : il implique la prise en compte de toutes les formes de la participation politique. La démocratie se définit comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ; cela exclut le pouvoir d’une autorité qui ne tirerait pas sa légitimité du peuple mais d’une source extérieure ou réputée supérieure. La démocratie implique donc la participation active des citoyens.

Celle-ci concerne autant la participation au débat public censé éclairer les décisions collectives que la prise de ces décisions elle-même. Elle peut donc prendre différentes formes. Le thème précédent met en évidence l’importance dans une démocratie de la participation au processus de désignation de représentants élus. Celui-ci insiste sur les autres dimensions : la participation à l’espace du débat public où se forme l’opinion publique, ce qui implique l’analyse critique des moyens de communication de masse et de leurs effets (y compris de l’Internet, des forums et du courrier électronique), la participation aux associations civiles, sociales et politiques, notamment à l’échelon local, la participation à des groupes défendant des intérêts, par exemple les syndicats et la participation à des actions collectives, locales ou nationales, sur des objectifs sociaux ou civiques.

Il ne s’agit pas bien sûr d’étudier toutes les formes de participation politique et d’actions collectives mais d’en choisir une manifestation qui puisse à la fois faire sens et susciter l’intérêt des élèves.

Si l’État républicain garantit les libertés individuelles et les droits du citoyen, les devoirs du citoyen sont la contrepartie et la condition de ces droits. Toutefois, l’État semble exercer une pression dont le citoyen prétend parfois s’affranchir (fraudes, désobéissance à la loi, incivisme, dégradation des biens publics, destruction de la propriété collective). Il importe donc de montrer en quoi le respect de la loi et de ses devoirs par le citoyen n’est pas un conditionnement à l’obéissance ; c’est, tout au contraire, son choix libre et raisonné d’institutions sans lesquelles les libertés, les droits et la sécurité ne pourraient exister.

Réfléchir, yes we can.

L’intitulé du programme de terminale est : La citoyenneté à l’épreuve des transformations du monde contemporain.

C’est à mon avis ici qu’un débat sur l’Hadopi trouverait le plus naturellement sa place. On aurait presque l’impression qu’il a été rédigé en pensant à cette loi ;-)

En classe terminale, il s’agit de montrer que les exigences de droit, de justice, de liberté et d’égalité qui caractérisent l’État et les sociétés démocratiques sont confrontées à de nouveaux défis qui mettent à l’épreuve la citoyenneté, notamment les évolutions de la science et de la technique, les exigences renouvelées de justice et d’égalité, la construction de l’Union européenne et la mondialisation économique, culturelle, juridique et politique. Ces évolutions obligent les hommes à toujours repenser leurs droits et leurs libertés, ce qui suscite des débats dans l’espace public. La tension entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, des expressions nouvelles de violence et d’atteinte aux libertés, exigent des réponses juridiques sans cesse adaptées. Le débat démocratique amène à interroger les normes et les valeurs sur lesquelles repose le droit et à les confronter à des conceptions différentes de l’éthique et à l’idée de droits de l’Homme.

Les progrès des sciences et des techniques dans tous les champs de l’activité humaine, la production, la consommation, la médecine… bouleversent les formes de l’existence, les rapports des hommes entre eux, la perception de l’espace et du temps, le corps humain lui-même. Ils suscitent des interrogations et des exigences nouvelles en matière de droits, de justice, de liberté, de responsabilité, de sécurité, par exemple dans les domaines de la bioéthique, de la prévention des risques naturels ou techniques, de la mondialisation des réseaux de communication, de la santé, de la qualité de la vie, de l’environnement, de l’avenir de la planète… Ils modifient aussi les conditions d’exercice de la citoyenneté.

Faut-il fixer des limites aux progrès des sciences et des techniques et en fonction de quels principes ? Comment État et citoyen peuvent-ils contrôler démocratiquement ces transformations ? Comment garantir l’indépendance des décisions démocratiques dans des domaines qui requièrent des savoirs spécialisés ? Quel rôle les experts doivent-ils jouer ? Existe-t-il un risque de technocratie ? Peut-on garantir un égal accès de tous les citoyens aux bénéfices des sciences et des techniques ? Face à ces complexités et à ces défis, comment permettre l’exercice de la citoyenneté ?

Que de questions intéressantes en perspective ! Comme évoqué ci-après, on pourra également élargir le débat à la situation dans les autres pays européens (en analysant par exemple le succès du Parti Pirate suédois).

La citoyenneté s’est construite historiquement dans le cadre national. Le projet européen, depuis un demi siècle, a conduit à la construction d’institutions qui sont aujourd’hui à l’origine de nombreuses décisions de notre vie collective. Une grande partie du droit national, dans les pays de l’Union européenne, est désormais de source européenne. D’un point de vue juridique, il n’existe pas aujourd’hui de citoyenneté européenne indépendante de la citoyenneté nationale ; d’un point de vue politique, tout ce qui donne une réalité concrète au principe de citoyenneté reste, pour l’instant et pour l’essentiel, national. L’Union européenne crée un niveau d’institutions supérieur et complémentaire aux institutions nationales. Elle amène à repenser les questions de la souveraineté, de l’égalité, de la liberté, de la sécurité, par exemple dans le domaine de l’économie, de l’harmonisation des législations, de l’ouverture des frontières et de la circulation des personnes et des biens, de la construction de forces armées plurinationales.

Le terme de mondialisation désigne un processus pluriséculaire complexe fait de mutations géographiques, économiques, culturelles, juridiques et politiques. Il s’accompagne d’une prise de conscience à l’échelle du monde de la perturbation des équilibres physiques de la planète et de l’homogénéisation relative du monde vivant. L’ensemble de ces mutations, par exemple le délitement apparent de la notion de frontière nationale, la concentration de pouvoirs au sein d’entreprises transnationales, le rôle accru des institutions internationales, les transferts de souveraineté des États-nations, la vitesse des transformations techniques et des communications, engendre de nouveaux défis qui mettent la citoyenneté à l’épreuve.

Ouf, merci d’avoir tenu jusque là ! J’espère vous avoir convaincu que ce fort pertinent programme d’ECJS est tout ce qu’il y a de plus « Hadopi compatible » et que le caractère controversée de cette loi (qui pour une fois met tout le monde d’accord) se prête magnifiquement à la méthode du débat argumenté.

Ainsi donc l’ECJS nous « couvre » et ne nous condamne pas à relayer benoîtement la « propagande » Hadopi !

Entendons-nous bien, il ne s’agit surtout pas de remplacer une propagande par une autre mais d’offrir aux élèves les conditions d’un réel débat (ceci étant dit, rien n’empêche de proposer aux élèves, dans le corpus documentaire, des ressources sur la « culture libre », en leur faisant comprendre pourquoi elle peut être considérée comme une « alternative à l’Hadopi »).

Chaque classe étant différente et l’enseignant étant avant tout présent pour animer et assurer les bonnes conditions du débat, on ne peut en rien présager de ce qu’il adviendra et des conclusions qu’en tireront nos lycéens. Mais l’essentiel sera bien là : au travers de l’exemple Hadopi ils auront fait ensemble un apprentissage de la citoyenneté, et réciproquement !

Se joindre au projet

Le projet consiste donc à faire d’Hadopi l’un des thèmes des débats argumentés de l’ECJS au lycée.

Comment procédér ?

J’ai bien quelques idées (confuses) à priori mais l’essentiel est de se regrouper et de voir cela ensemble. Parce qu’il est bien plus amusant de faire les choses collectivement, et puis c’est une habitude des lieux. Il serait bien sympathique de se constituer ainsi un petit réseau de personnes partageant la volonté de sensibiliser les élèves non seulement sur l’Hadopi mais sur les libertés numériques en général (qui le temps passant finiront presque par se confondre avec les libertés tout court). Surtout qu’on pourrait très bien envisager d’organiser plus tard d’autres débats connexes à Hadopi comme la neutralité du réseau, la vie privée, le Libre Accès, les biens communs, etc.

Pour ce qui me concerne, je n’ai pas d’ECJS cette année mais je suis tout à fait disposé et disponible pour participer et intervenir dans les classes si les professeurs d’ECJS de mon établissement m’y invitent (avec ma double-casquette prof et Framasoft). Et comme nous en sommes encore au tout début d’année, je compte leur suggérer dès maintenant de faire d’Hadopi l’un de leurs débats argumentés en offrant mes services (tout étant conscient que je suis novice dans la pratique du « débat argumenté » qui me semble beaucoup plus facile à dire qu’à faire).

Ainsi donc le projet s’adresse avant tout aux enseignants en charge de l’ECJS cette année mais aussi à tous les autres professeurs intéressés qui voudraient s’associer avec les premiers. Il s’adresse également à tous les parents de lycéens qui souhaiteraient voir le professeur d’ECJS de leurs enfants aborder ce sujet (ce qui peut commencer par leur indiquer le lien vers cet article du Framablog).

Il s’adresse enfin à tous les intervenants extérieurs potentiels (personne physiques mais aussi personnes morales, je pense aux associations ou à tout autre structure qui pourrait devenir partenaire ou partie prenante du projet). Imaginez-vous faire venir conjointement Jérémie Zimmermann et Franck Riester devant un parterre de lycéens passionnés, ça aurait de la gueule ! Nous pourrions du reste tenter de médiatiser les venues des personnalités les plus emblématiques d’Hadopi (surtout si l’on décide tous de faire ce cours à peu près au même moment). Nous montrerions ainsi à la population que non seulement l’école se soucie d’informer comme il se doit sur Hadopi mais que certains vont plus loin en profitant de l’ECJS pour que les élèves mettent la loi sur le grill ;-)

J’invite donc les personnes intéressées à se manifester dans les commentaires et/ou à m’envoyer un message via le formulaire de contact du site. Je créerai un groupe Facebook dédié une liste de discussion dédiée et nous travaillerons alors ensemble à la réalisation de ce projet.

J’invite également les quelques rares enseignants qui ont déjà essayé de parler d’Hadopi en ECJS (je sais qu’il y en a) à venir nous apporter leur témoignages.

J’invite enfin tous les lecteurs du Framablog à relayer l’information, parce que non seulement notre attaché de presse est encore en vacances mais en plus nous ne possédons pas d’attaché de presse.

Nous l’avons déjà constaté, rares sont les temps scolaires où les élèves sont confrontés aux thèmes qui nous sont chers. Puisse ce modeste projet contribuer à modifier un peu la donne.

Annexes

Le programme officiel d’ECJS

Billet initialement publié sur Framablog
Crédit photo CC Flickr Orange_Beard, yinyang et Skippyjon
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http://owni.fr/2010/09/16/appel-a-projet-lhadopi-a-lecole-oui-mais-en-ecjs/feed/ 2